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me ramena en Suisse, où je passai quelque temps, sous sa seule inspection, à sa campagne. Un de ses amis lui ayant parlé d’un Français d’un certain âge qui vivait retiré à la Chaux-de-Fonds près de Neuchâtel, et qui passait pour avoir de l’esprit et des connaissances, il prit des informations, dont le résultat fut que M. Duplessis, — c’était le nom de ce Français, — était un moine défroqué qui s’était échappé de son couvent, avait changé de religion et se tenait caché, pour n’être pas poursuivi, même en Suisse, par la France. Quoique ces renseignemens ne fussent pas très favorables, mon père fit venir M. Duplessis qui se trouva valoir mieux que sa réputation. Il devint donc mon quatrième précepteur. C’était un homme d’un caractère très faible, mais bon et spirituel. Mon père le prit tout de suite en très grand dédain, et ne s’en cacha point avec moi, ce qui était une mauvaise préparation pour la relation d’instituteur et d’élève. M. Duplessis remplit ses devoirs du mieux qu’il put et me fit faire assez de progrès. Je passai un peu plus d’un an avec lui, tant en Suisse qu’à Bruxelles et en Hollande. Au bout de ce temps, mon père s’en dégoûta, et forma le projet de me placer dans une université d’Angleterre. M. Duplessis nous quitta pour être gouverneur d’un jeune comte d’Aumale. Malheureusement, ce jeune homme avait une sœur assez belle et très légère dans sa conduite, elle s’amusa à faire tourner la tête au pauvre moine, qui en devint passionnément amoureux. Il cachait son amour parce que son état, ses cinquante ans et sa figure lui donnaient peu d’espérance, lorsqu’il découvrit qu’un perruquier moins vieux et moins laid était plus heureux que lui. Il fit mille folies qu’on traita avec une sévérité impitoyable. Sa tête se perdit et il finit par se brûler la cervelle. Cependant mon père partit avec moi pour l’Angleterre, et, après un séjour très court à Londres, il me conduisit à Oxford. Il s’aperçut bientôt que cette université, où les Anglais ne vont finir leurs études qu’à vingt ans, ne pouvait convenir à un enfant de treize. Il se borna donc à me faire apprendre l’anglais, à faire quelques courses dans les environs pour son amusement, et nous repartîmes au bout de deux mois, avec un jeune Anglais qu’on avait recommandé à mon père comme propre à me donner des leçons, sans avoir le titre et les prétentions d’un gouverneur, choses que mon père avait prises en horreur, par quatre expériences successives. Mais il en fut de cette cinquième tentative comme des précédentes. A peine M. May fut-il en route avec nous, que mon père le trouva