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grammaire ont été jusqu’ici, je le rappelle encore une fois, l’œuvre graduelle du temps et de l’opinion publique. Elles ont été déterminées par l’initiative des écrivains, savans, et littérateurs ; et il n’appartient ni à un ministre, ni à une commission, de substituer à cette évolution spontanée des conventions artificielles, prétendues rationnelles, préjugeant l’avenir, et réglées a priori par quelques grammairiens, si capables qu’on les suppose, puis promulguées par voie d’arrêté ou de décret. Une semblable usurpation de pouvoir ne manquerait assurément pas de soulever l’opposition des auteurs et des éditeurs, auxquels on prétendrait l’imposer.

Ce n’est pas que je veuille écarter l’intervention des conseils, des commissions, des ministres, en pareille matière. Mais tout ce qu’ils peuvent et ont le droit de faire, c’est de constater l’état des opinions reçues à un moment donné, et de tâcher d’y conformer leurs règlemens, à titre surtout facultatif.

Je n’ignore pas que l’on invoque le rôle trop absolu et l’importance prépondérante attribués aujourd’hui à l’orthographe dans les examens et concours. Certes, il est commode, pour des juges et des examinateurs, — au lieu de procéder à l’appréciation, souvent délicate, de la valeur intellectuelle, esthétique et morale des compositions des candidats, — d’y introduire une cote purement numérique des écarts entre une orthographe réputée officielle par l’examinateur, et l’orthographe suivie par le candidat. C’est en raison de cette facilité que l’importance de l’orthographe a été singulièrement exagérée par les règlemens pratiques d’examens.

Ce n’est pas là le seul inconvénient ; car le rôle excessif des programmes, dans les examens de tout ordre, a pour effet de rendre plus difficiles les modifications graduelles dans l’enseignement, et même dans le développement des connaissances scientifiques. Pour l’orthographe, en particulier, les programmes tendent à en paralyser l’évolution naturelle ; et c’est à juste titre que les réformistes en critiquent l’intervention. Mais ici, leur critique se retourne contre eux-mêmes.

En effet, entrons dans plus de détails sur le plan des réformistes. Après avoir protesté pendant longtemps contre la tyrannie scolaire de l’orthographe, au lieu de réclamer un régime plus libéral, les réformistes ont entrepris, aujourd’hui, de restaurer cette tyrannie au profit de leurs systèmes.