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Je prétends encore moins me déclarer hostile à tous changemens, ainsi que je viens de le dire ; mais il me semble nécessaire de soumettre à une critique exacte les principes mis en avant pour généraliser ces changemens, les méthodes proposées pour les définir, et les procédés que l’on voudrait suivre pour les appliquer. Tel est l’objet du présent article.


I. — ÉVOLUTION HISTORIQUE

Pour mettre en évidence le véritable caractère des problèmes de la Réforme de la langue française, parlée et écrite, il est utile de remonter d’abord à ses origines : c’est ce que je vais tâcher de faire, très brièvement d’ailleurs.

Au cours de l’évolution historique de la langue française, l’idéal poursuivi depuis le XVIe siècle a été celui des langues dites classiques, tel qu’il avait été conçu et proclamé au temps de la Renaissance : il n’a cessé de hanter les esprits jusqu’à nos jours. C’était d’ailleurs une conséquence de la tradition des études latines et grecques, maintenues comme base principale d’une éducation libérale. Sans vouloir discuter ici cette conception, qui a vieilli, on doit avouer qu’elle repose sur une erreur historique, relative à l’existence supposée d’un modèle antique de langues classiques.

En réalité, le grec et le latin n’ont pas été constitués d’après cette formule, c’est-à-dire soustraits à la loi générale de l’évolution.

L’histoire de ces langues, aujourd’hui mieux connue et approfondie par la critique moderne, a montré que le prétendu état fixe sous lequel on les enseignait naguère, était une fiction de professeurs et de grammairiens : ils avaient envisagé comme des types absolus l’état de ces langues à un certain moment de leur existence, celui où leur littérature a atteint un degré particulièrement brillant. Le système que l’on préconisait depuis le XVIe siècle dans leur enseignement scolaire, c’était la langue de Thucydide, de Sophocle et de Démosthène en grec, la langue de Cicéron et de Tite-Live, d’Horace et de Virgile, en latin : types bien limités, car, en réalité, des auteurs grecs ont écrit pendant deux mille ans au moins, depuis Homère et Hésiode, jusqu’aux philosophes alexandrins, aux Pères chrétiens et aux chroniqueurs byzantins ; et ces auteurs ont employé des variantes et des dialectes bien