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Les incidens de cet été ont révélé le mécontentement sourd qui, depuis longtemps, grandit en Bosnie et en Herzégovine ; les Slaves de Bosnie et ceux de Serbie, luttant au même moment, pour la même cause, contre la prépondérance de Vienne, ont pris conscience plus que jamais de leur solidarité ; l’idée d’une union des peuples jougo-slaves contre la poussée du Nord a fait des progrès dans les esprits et a commencé de s’implanter dans les cœurs. Il n’est pas douteux que les agens secrets de la propagande serbe en aient profité pour redoubler leurs efforts et souffler la haine de l’Autriche dans tous les cœurs slaves[1]. « La Bosnie, c’est notre Alsace-Lorraine, » me disait dernièrement un Serbe : les Serbes de Bosnie ont lutté avec ceux du royaume dans les guerres de l’Indépendance, ils ont versé le même sang pour la même cause et ils ne veulent pas n’avoir échappé au joug des Turcs que pour tomber sous celui des Allemands ; ils revendiquent leur droit à la vie nationale et à la liberté. Indépendance, union avec la Serbie ou le Monténégro, fusion de tous les pays serbes, Grande-Croatie ou Grande-Serbie, la forme reste imprécise, mais le désir d’émancipation est certain. Du haut de son nid d’aigle de Cettigne, le prince de Monténégro, comme le roi de Serbie de son konak de Belgrade, surveillent et encouragent le mouvement : l’un et l’autre attend l’avenir de son pays et de sa dynastie d’une union de toutes les populations serbes, sinon en un seul État, du moins en un seul faisceau.

En Croatie, enfin, au cours de ces derniers mois, il s’est produit une évolution inattendue et caractéristique : nous n’en pouvons indiquer ici que les grandes lignes, mais du moins est-il indispensable de les indiquer. On sait comment une ère nouvelle de l’histoire de la Croatie date du Congrès de Fiume et de la Résolution qu’il a adoptée, le 3 octobre 1905, aux termes de laquelle un esprit d’entente et de concorde doit désormais présider aux relations entre la Hongrie et la Croatie[2]. En même temps

  1. « En Serbie, ce sont des courans populaires qui sont excités contre l’Autriche-Hongrie et l’on n’a pas pu se dissimuler que des tentatives ont été faites pour nouer en Bosnie des relations avec les élémens mécontens et les exciter. Deux expulsions ont été faites… » (Le baron d’Æhrenthal aux Délégations hongroises, le 11 décembre 1906.)
  2. 45 députes, tous Croates, de Croatie, de Dalmatie et d’Istrie, se sont réunis en congrès à Fiume ; 32 d’entre eux ont voté une sorte de manifeste où ils se déclarent prêts à appuyer la coalition hongroise dans sa lutte » légitime » contre Vienne ; considérant non seulement les rapports historiques des deux peuples, mais surtout leur besoin commun de se défendre pour subsister, ils affirment que : « les députés Croates considèrent comme de leur devoir de lutter d’accord avec le peuple hongrois pour le triomphe de leur droit et de leurs libertés. » En échange de leur concours, les Croates demandent une révision du pacte (nagoda) qui les unit à la Hongrie, des réformes électorales, judiciaires, de presse, et la réunion de la Dalmatie au royaume de Croatie. Quelques jours après, le 17 octobre, les Serbes d’Autriche et de Croatie se réunissaient à leur tour à Zara et publiaient un manifeste favorable à la politique définie à Fiume. Depuis lors, la réconciliation des Serbes et des Croates a fait de nouveaux progrès auxquels le conflit austro-serbe n’a pas peu contribué. Des « résolutions » de Fiume et de Zara, il convient de rapprocher, entre autres, ces paroles de M. François Kossuth : « Nous désirons faire des Croates nos amis, et les Slaves seront nos collaborateurs et nos compagnons d’armes dans notre lutte nationale. » (Cité par M. René Henry, dans les Questions diplomatiques et coloniales du 16 novembre 1905.)