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avec Puisaye, est condamné an repos par l’état misérable de sa santé. Il reprend alors la plume et écrit à Blacas, le 24 décembre, une longue lettre de laquelle nous détachons ce qui suit :


« J’ai appris que votre devancier a eu un grand chagrin et que c’est un Français qui le lui a procuré. C’est la règle. Vous n’avez pas oublié que j’ai traité souvent ce texte avec vous. Je sais peu de choses sur vous tous. En gros, il me semble que vous n’êtes pas couchés sur des roses. Hélas ! il n’y a plus de lits de roses pour les honnêtes gens. Vous me gronderiez, mon cher comte, si je terminais cette lettre sans vous dire quelques mots de moi. je me porte à merveille ; je loge sur la Fontanka, à côté des boutiques du cabinet, maison d’Athanase Ievseieff, maison neuve sans numéro. Mes affaires vont comme les vôtres. On a beaucoup de bontés pour moi ; mais il me manque beaucoup d’argent, et je n’ai pas la moindre espérance de revoir ma famille. Mon fils marche droit[1] et me rend la vie douce ; il me paraît qu’on est fort content de lui ; mes liaisons sont à peu près les mêmes ; l’intimité est toujours chez la comtesse de G… Je me suis accoutumé peu à peu à la mine sombre de la princesse de Tarente. Elle, de son côté, me montre beaucoup de clémence. Je finirai par être de votre avis.

« … Les papiers anglais ont dit des horreurs de l’Empereur et du comte Nicolas[2]. J’en suis fâché. Ces personnalités influent très souvent sur la politique. Je vous ressemble encore à l’égard du comte Nicolas, je n’en pense pas si mal que les autres. Il est vrai que je suis suspect parce qu’il me traite fort bien. Il vient d’avoir un grand chagrin. Son frère, le comte Michel, grand échanson, est devenu fou chez l’Impératrice mère à Gatschina. On ne voit encore aucun signe de guérison. On dit le comte Nicolas pénétré de douleur au point de pleurer. Il est bien malheureux, car, outre ses malheurs domestiques, on le traite d’une manière terrible et il ne peut l’ignorer. Cependant, on devrait bien au moins penser qu’il n’est pas empereur. Je souhaite qu’il se tire honorablement de cette situation difficile. L’anathème est sur les échansons. Le pauvre prince Belozelsky, grand échanson aussi en second, fut frappé l’autre jour d’un accident, l’apoplexie, et dont il ne peut se relever. Il a bien donné quelques signes de connaissance, mais

  1. Le comte Rodolphe de Maistre était officier dans l’armée russe.
  2. Le comte Nicolas Romanzoff, chancelier de Russie.