Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/637

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


« Saint-Pétersbourg, 8 octobre 1808. — Je suis toujours tel que vous m’avez laissé, collé sur mes livres une grande partie du jour et, le reste du temps, errant et vagabond comme vous l’avez vu. Je tiens toujours beaucoup dans la société de la Perspective qui s’amincit cependant un peu. La douce demoiselle d’honneur me paraît peu contente de certaines choses, mais sans rien dire, du moins à moi. Je n’entends jamais fronder les grâces d’une noble dame sans penser à vous. Mme Pwilchin arrive au premier jour ; c’est encore une personne que je vois avec plaisir ; mais parbleu ! il n’y a que sept jours dans la semaine et il n’y a pas moyen d’y tenir. Contez-moi un peu l’Angleterre quand vous pourrez. Etes-vous content ? Vous voyez, au reste, comme les choses vont à l’envers de tout ce qu’on imagine. Quand l’heure du Roi sera venue, il importera fort peu de savoir ce qu’on pense ici ou là. Bonjour ou plutôt bonsoir, cher et aimable comte. Souvenez-vous que je vous suis acquis (vaille que vaille) jusqu’à la fin de ma sotte vie. »


« Saint-Pétersbourg , 16-28 décembre 1808. — C’est pourquoi je dis que si une occasion sûre ne nous accordait même qu’un quart d’heure, il faudrait l’employer à dire un mot au cher, au très cher comte de Blacas. Enfin, voilà une occasion sûre après un siècle de silence. Je vous ai écrit le 20 juin et le 8 octobre. Qui sait si mes lettres vous sont parvenues ? Quant à moi, je n’ai rien reçu de vous ; mais je vous ai bien rendu justice. Je ne doutais pas que vous ne m’eussiez écrit. En effet, j’ai appris, par vos deux lettres à Mme la princesse de Tarente[1] et à M. le comte de Brion[2], que vous m’aviez donné de vos nouvelles, mais rien ne m’est parvenu. Vous n’avez pas idée de la garde qu’on fait à toutes les issues possibles pour empêcher toutes sortes de nouvelles d’arriver à nous. J’en excepte cependant une victoire complète de Buonaparte sur les Espagnols, si elle avait

  1. Fille cadette du duc de Châtillon et amie de Marie-Antoinette, elle avait épousé en 1781 Charles de La Trémoïlle prince de Tarente. Apres avoir couru les plus grands dangers, elle passa en Angleterre. Elle habitait Richmond lorsqu’en 1797 elle fut appelée à la Cour de Russie comme dame du Palais. Après sa mort et sur le tard, son mari, devenu duc de La Trémoïlle, se remaria. Il mourut en 1839. Il est le père du duc actuel, né de ce second mariage.
  2. Le comte Parseval de Brion, lieutenant général sous Louis XVI, émigré en Russie et chargé après le départ de Blacas de veiller aux intérêts du Roi près de la Cour impériale.