Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/631

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il sera permis encore de parler. Sa cause est celle de l’Europe ; c’est celle de l’humanité ; ceux qui ignorent cette vérité ne sont pas de ma religion.

« Je conserverai précieusement votre souvenir, monsieur le comte ; puisse le mien laisser quelques légères traces dans votre mémoire ! Je n’ai point osé, comme vous savez, rechercher les bontés du Roi. En défendant sa cause, j ‘étais tout à la fois timide et courageux. Il m’a fait savoir que je l’avais contenté, c’est assez pour moi, pendant que l’orage gronde. Le moment où je pourrai m’en glorifier ne sera pas seulement un des plus beaux de ma vie ; il sera encore un des plus heureux pour la France, pour l’Europe, pour l’humanité. »


D’Avaray ne répondit à Joseph de Maistre que le 30 décembre. Sa réponse est brève ; elle se ressent des graves préoccupations qui régnaient alors à Blanckenberg. Du moins, s’appliquait-il à décliner la responsabilité de la triste aventure à laquelle avait donné lieu sa lettre du 28 septembre. Cette malheureuse lettre était partie par la voie de M. Plenti, une voie sûre, avec plusieurs autres qui toutes étaient arrivées à leur destination. Par quelle fatalité la plus importante avait-elle été détournée de son chemin ? C’était à n’y rien comprendre. Néanmoins, et en renonçant à se l’expliquer, il s’en excusait ainsi que de la brièveté de ses regrets. Mais le Roi chassé de Prusse allait quitter l’asile de Blanckenberg « sans savoir où il ira<ref> La négociation qu’il avait ouverte avec Paul Ier à l’effet d’obtenir un asile en Russie n’était pas encore terminée. D’autre part, il ne désespérait pas de pouvoir s’établir en Suisse et de rester ainsi « à portée de son royaume. » Il n’y renonça que le 26 janvier suivant, en apprenant que la Suisse était tombée au pouvoir de la France. </ref. » — « Je m’occuperai de vos intérêts, ajoutait d’Avaray, et de remplacer, comme vous le désirez, la lettre de change que vous avez la délicatesse de refuser. »


En arrivant à Mitau avec Louis XVIII, au mois de mars suivant, d’Avaray reçut les remerciemens de Joseph de Maistre :


« A la Cité d’Aoste par Turin, le 10 février 1798. — Monsieur le comte, lorsque je prenais congé de vous dans ma dernière lettre, j’ignorais que j’avais très près de moi le moyen de vous écrire sûrement. J’ai eu le plaisir de faire la connaissance de M. de C... chez Mme la duchesse de L... ; il veut bien se charger