n’était pas le talent de l’artiste, c’était l’« image. » Aussi paie-t-il les gravures plus cher, proportionnellement, que les dessins originaux. A. Dürer vendait de 175 à 250 francs la collection de ses estampes sur cuivre et 25 francs chacune certaines feuilles de la Passion. L’œuvre entier du célèbre graveur Lucas de Leyde, son contemporain, valait aussi 200 francs. Albert Dürer lui-même paie 25 francs une gravure du Sauveur, coloriée par une enfant de huit ans, « la fille de Maître Gerhard l’enlumineur, » ainsi qu’il appelle Gérard Hurembour, peintre d’Henri VIII, dont la fille Suzanne porta plus tard à son apogée l’art de l’enluminure.
Par ses gravures, A. Dürer pouvait vivre dans l’aisance ; il n’était pas obligé d’exercer une profession annexe comme Henri à la Houppe, dit le Maître au Hibou, qui tenait auberge à Malines à l’enseigne de la Tête-d’Or. Dürer possédait à Nuremberg une maison du prix de 15 000 francs ; il était « membre du grand Conseil » de cette ville et ses économies devaient lui procurer un revenu de quelque 7 000 francs par an, si elles étaient placées au même taux que les 25 000 francs prêtés par lui à la municipalité. Sans doute il eût gagné davantage ailleurs. « Depuis trente ans, dit-il, les travaux dont j’ai été chargé par la ville ne se sont pas élevés à 20 000 francs, somme sur laquelle je n’ai pas eu un cinquième de bénéfice. J’ai gagné ma fortune, je veux dire ma pauvreté, avec les princes, les seigneurs et autres personnes du dehors. Je suis le seul ici qui vive de l’étranger. Il y a dix-neuf ans, le doge de Venise m’offrit (8 600 francs] par an pour me fixer dans cette ville. Anvers m’a offert aussi (7 500 francs] par an, en y ajoutant le don d’une belle maison. Dans l’une comme dans l’autre cité tous mes travaux m’eussent été payés à part. »
Mais nulle part il ne fût parvenu à la fortune, si l’on en juge par les prix de la même époque payés par les plus riches princes ou reçus par les plus grands artistes. Pour représenter Charles-Quint et les membres de sa famille, Bernard van Orley, — dit Bernard de Bruxelles, — touche 130 francs par chaque toile de 66 centimètres de côté. Pour un portrait en pied du roi de Hongrie, le même peintre reçoit 272 francs, et pour celui de la duchesse de Milan, 294 francs (1535). Trois portraits du roi de Castille, de la Reine et de l’archiduchesse d’Autriche sont payés chacun 445 francs (1508), mais d’autres portraits de princes et de roi ne montent qu’à 100 francs.
Antonio Moro recevait en Espagne de Philippe II 825 francs