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A. Dürer n’en laissait que 164 000 (1528) ; c’est que Rome était plus opulente que Nuremberg et que la clientèle des papes valait mieux que celle des burgraves de Hohenzollern.

Que la médiocrité de vie, de situation et d’âme des primitifs ait été profitable à leur art, duquel rien ne venait les distraire, c’est une opinion soutenue par de bons critiques ; rien n’en démontre historiquement le bien fondé ; et l’on pourrait aussi bien redouter que le manque d’argent et la dépendance qu’il entraîne n’abaissât ou ne dispersât leur pinceau, à la recherche du pain quotidien, en des productions hâtives, si l’on ne savait que le souci de la perfection esthétique est, en vérité, tout à fait indépendant de la question d’argent. Il le fut autrefois comme il l’est de nos jours. C’est une affaire de tempérament individuel.


III

Jusqu’où peut aller le désintéressement de l’artiste, on le conçoit, lorsque la ruine d’un monument antique découvre à nos yeux d’admirables morceaux de sculpture, destinés par leur place même dans l’édifice à ne jamais voir le jour et dont, seule, une catastrophe pouvait nous révéler la beauté. Une telle abnégation est rare ; il n’est guère d’hommes de génie insensibles à la louange ; il en est un grand nombre que le salaire influence peu et il n’en est pas qui ne l’accueillent avec plaisir. Le plus ou le moins d’aisance de ceux qui furent la gloire de la peinture n’influa pas beaucoup, j’imagine, sur leurs procédés de travail, depuis cinq siècles. Mais il y en eut, en tout temps, de plus ou moins désireux de s’enrichir et surtout de plus ou moins capables d’accroître le produit de leur pinceau, suivant le milieu économique où le hasard les avait placés et suivant leur don d’ exécution plus ou moins rapide.

Dans l’Italie du XVe siècle, les peintres étaient, sous le rap- port pécuniaire, peu supérieurs aux petits marchands. Les dots, dans le monde des artistes, variaient de 5 400 à 10 800 francs. André Mantegna, en 1499, donne à sa fille 13 400 francs. Il n’est guère que le Pérugin qui dépasse ce chiffre : sa femme, Claire Fancelli, lui apporta 18 000 francs. Raphaël et Michel-Ange furent les premiers, et même les seuls au XVIe siècle, avec Titien, qui obtinrent une véritable aisance. Ils savaient défendre leurs intérêts :