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droits d’auteur et que Victor Hugo au contraire, tout en ayant l’air de planer dans les nues et Miche let, tout en paraissant absorbé par les idées générales, savaient tous deux défendre leurs intérêts littéraires avec la précision et la finesse d’un avoué ?

La naissance de la Revue Nationale, le 10 novembre 1860, coïncidait presque avec les décrets du 24 novembre de la même année qui indiquaient une détente dans la politique gouvernementale. Le Corps législatif que le public entendait à peine de loin, qui ne tenait qu’une place insignifiante dans la vie du pays, recouvrait une partie des libertés dont avaient joui les assemblées antérieures, la publicité des débats, le droit d’adresse, le droit d’amendement. Il lui manquait encore le droit d’interpellation et le droit d’initiative. En dépit de ces lacunes, le progrès obtenu paraissait assez sérieux pour réjouir les libéraux. On regrettait qu’il ne fût pas plus complet, on regrettait surtout qu’il fût présenté comme une faveur, et non comme un droit. C’était toujours le pouvoir personnel qui octroyait quelque chose et non la souveraineté nationale qui s’exerçait. Mais le régime avait été si dur dans les années précédentes qu’on ne songeait pas à y regarder de si près. Dans cette chambre hermétiquement fermée qu’avait été la France pendant neuf années, c’était un peu d’air pur et respirable qui pénétrait.

C’est ce qu’expliquait, dans la première chronique politique de la Revue Nationale, un des hommes les plus courageux et les plus distingués de cette époque, Lanfrey. Charpentier avait eu la main particulièrement heureuse en choisissant pour la partie politique de sa revue un publiciste de cette envergure. Avec ses joues roses, son teint frais, ses yeux bleus et sa figure de chérubin, Lanfrey était une des natures les plus énergiques que j’aie connues.

Le silence des premières années de l’Empire froissait profondément en lui ses instincts libéraux, la haute idée qu’il se faisait de la dignité d’un grand peuple et des droits de chaque citoyen dans un pays tel que la France. Il n’avait pas eu de peine à reconnaître que l’origine du mal, la fortune du second Empire, tenait aux grands souvenirs qu’avait laissés dans les âmes populaires la légende napoléonienne. Le neveu de Napoléon héritait de la gloire de son oncle. Serait-il donc impossible de détruire la légende, de montrer à ce peuple crédule et abusé tout le mal que lui avait fait le conquérant ? L’appauvrissement de la race