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résistance à opposer aux velléités du pouvoir personnel. L’opposition, restreinte d’bord à cinq membres, commençait à grossir dans le Parlement. Lorsque la conversation, souvent par une pente involontaire, nous ramenait entre nous à la politique, nous ne pouvions nous défendre de vagues appréhensions pour l’avenir de la France. Nous ne savions pas bien ce qui nous menaçait, mais nous sentions dans l’air quelque chose de menaçant. Un mot de Prévost-Paradol m’avait frappé. Un jour où je lui parlais de la polémique brillante qu’il soutenait dans le Journal des Débats, il m’avait répondu d’un ton mélancolique : « A quoi bon ! Ce n’est pas avec des piqûres d’épingle qu’on tue un éléphant. Celui-ci ne mourra pas de nos attaques, il ne mourra que de ses fautes. »

Quelles fautes nouvelles allait commettre le gouvernement impérial et quelle serait la répercussion de ces fautes sur les destinées de la France ? Dans mes méditations solitaires, je ne cessais d’y penser presque malgré moi. L’idée du danger que nous faisait courir la continuation du pouvoir personnel devenait pour moi comme une obsession. Je ne pouvais apercevoir l’Empereur dans une cérémonie publique, au théâtre, au Bois, sans essayer de lire sur ce masque impassible ce qu’il nous réservait. Était-ce ma qualité d’habitant de la frontière qui me rendait plus perspicace ou plus inquiet ? Il me semblait que nous ne pouvions sortir de l’Empire que par une catastrophe. L’avenir, un avenir prochain, ne devait que trop justifier ces appréhensions. Comme dans l’attente d’un malheur, je me creusais l’esprit pour chercher un remède, une solution qui dépendit de nous-mêmes. Au fond, il ne se présentait qu’une issue à une situation si périlleuse : la restauration de la liberté.

Tout ce qui limiterait l’autorité du maître, tout ce qui introduirait dans le gouvernement des moyens de contrôle serait un bienfait. Je ne me rappelais pas sans une sorte de colère le langage qu’avaient tenu devant moi dans ma jeunesse un si grand nombre de conservateurs, la fureur avec laquelle ils avaient écarté du pouvoir cet honnête homme qui s’appelait le général Cavaignac pour lui en préférer un autre, uniquement parce qu’il s’appelait Napoléon. Aujourd’hui encore je n’y pense pas sans un frémissement. Faut-il que cette malheureuse nation soit étrangère à l’idée de la liberté pour que, même maintenant, il y ait encore tant de personnes qui escomptent la venue d’un