Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/558

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


I

Mes amis et moi, nous étions plutôt attirés par la presse opposante que par la presse gouvernementale. Des universitaires de marque, Cuvillier-Fleury, Saint-Marc Girardin, Prévost-Paradol, J.-J. Weiss écrivaient dans le Journal des Débats, d’autres dans la Revue des Deux Mondes ou dans la Revue Nationale que fondait l’éditeur Charpentier. Dès 1859, j’avais été introduit au magasin de librairie, préface de la Revue Nationale, par un de mes anciens maîtres, Emile Saisset, et j’y avais publié une série d’articles sur les prédécesseurs, les contemporains, et les successeurs de Shakspeare. J’y rencontrais des militans de la politique, des adversaires irréconciliables du régime impérial, Taxile Delord, Louis Ulbach, Lanfrey. Leur talent, la sincérité de leur indignation agissaient naturellement sur moi. Il se créait ainsi insensiblement en nous un état d’esprit qu’un exemple suffira à faire comprendre. Le journal le Temps venait d’être créé. Sous la plume de Scherer et de Nefftzer nous y trouvions des articles empreints du libéralisme le plus élevé. Le danger que faisait courir à la France la politique personnelle de l’Empereur et la folie de son attachement au principe des nationalités commençaient à éloigner de lui cette bourgeoisie conservatrice qui avait été un des élémens de sa fortune. L’incohérence que révélait l’embarras de son attitude entre l’Italie et la Papauté effrayait le monde religieux sans satisfaire les révolutionnaires. Concilier le maintien du pouvoir temporel avec les aspirations des Italiens vers l’unité semblait un problème aussi difficile à résoudre que la quadrature du cercle.

L’expédition du Mexique, entreprise si légèrement pour des motifs si frivoles, augmentait les inquiétudes des gens sensés. Après la guerre de Crimée et la guerre d’Italie, on se demandait avec anxiété où nous conduirait ce perpétuel besoin d’agitation dans le vide, s’il n’était pas temps de laisser reposer pour des fins plus importantes les armes et le crédit de la France. Comment ne pas remarquer en même temps que de si grosses questions, d’où pouvait dépendre le sort du pays, continuaient à être décidées par une volonté solitaire sans que le pays lui-même fût consulté ? Plus l’Empire durait, plus le besoin d’un contrôle se faisait sentir. De proche en proche l’idée se répandait d’une certaine