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délier les consciences. L’insigne force morale qui résidait en ce régulateur des âmes, il la supputa mathématiquement : « Comment dois-je le traiter ? » lui dit son premier envoyé auprès de Pie : « Traitez-le comme s’il avait deux cent mille hommes[1]. » S’adressant au Pape carrément, sans ambages ni fausse honte, il lui demanda de concourir à faire cesser en France l’anarchie des âmes chrétiennes et de les ranger à une règle de paix. L’objet du Concordat fut avant tout d’amener le Pape à sanctionner la doctrine du ralliement, à l’imposer aux prêtres catholiques comme obligation stricte, à retourner le schisme, en quelque sorte, et à le rejeter du côté des insoumis, à l’anéantir en fait et à trancher les liens qui rattachaient encore l’Église de France aux institutions abolies.

Dans sa façon de traiter cet objet, Bonaparte allait se montrer dur, exigeant, tyrannique, mais il se serait facilité à l’avance toutes ses fins auprès du Pape parce qu’il aurait commencé par le reconnaître et l’invoquer. Ainsi put-il réserver à l’État tout ce qui pour l’Église n’est pas l’indispensable.

Le catholicisme serait reconnu comme religion professée par la majorité des Français. Son public exercice serait solennellement garanti, mais soumis aux règlemens édictés en vue de la tranquillité générale. L’État reconnaîtrait la hiérarchie catholique, ce que les lois révolutionnaires n’avaient jamais voulu faire ; il la reconnaîtrait par le fait même qu’il demanderait au Pape de la renouveler dans ses membres, sans en modifier l’essence ou les attributions. Le Pape inviterait l’ancien épiscopat à se démettre et au besoin l’y obligerait ; les nouveaux évêques seraient nommés par le premier Consul et recevraient l’institution canonique. C’est à la disposition des évêques que seraient remis les édifices affectés au culte. Tous les ecclésiastiques seraient tenus de prêter serment de fidélité au gouvernement. Le Pape défendrait d’inquiéter la conscience des acquéreurs de biens d’Église et procurerait ainsi l’incommutabilité de ces domaines. Le clergé recevrait un traitement approprié à ses besoins. Les constitutionnels, quoique non nommés dans le Concordat, seraient admis à la réconciliation, et même au partage des dignités ecclésiastiques. C’est autour de ces bases sommairement posées dès l’entrevue de Verceil que la négociation se poursuivrait.

  1. Paroles citées notamment par le cardinal Mathieu, Le Concordat de 1801, p. 135.