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montrer à l’horizon : on consultait l’horizon, la mehalla n’apparaissait pas. On a pu conclure de là que, si elle était nombreuse et bien armée, ses mouvemens étaient lents et continueraient vraisemblablement de l’être. Enfin, un jour, la mehalla a fait son apparition. Elle n’était pas un mythe. Elle a déployé ses tentes autour de Tanger et le long du rivage, et l’impression qu’elle a produite a été bonne. Elle se composait de 2 500 hommes environ, tous d’apparence solide, et pris dans les meilleures troupes de l’armée marocaine. Le Maghzen avait bien fait les choses : il n’était plus possible de douter de sa résolution. Si Guebbas a fait à Tanger ce qu’on appelle une entrée sensationnelle. Il s’est rendu avec un grand apparat à la mosquée, et a donné lecture d’une lettre chérifienne où Raïsouli était qualifié de traître avec toute la richesse du vocabulaire oriental, déchu de tous ses titres, traité enfin comme il avait toujours mérité de l’être. Cette lettre, soutenue par la présence de la mehalla, a produit un excellent effet. Un des principaux lieutenans de Raïsouli, Ben-Mansour, qui opérait en son nom entre Arzila et la banlieue de Tanger, voyant que la partie s’engageait dans des conditions sérieuses, s’est empressé de faire sa soumission et de se tourner contre le maître redouté, mais probablement détesté, qu’il servait la veille.

La soumission de Ben-Mansour était d’heureux augure. Elle aurait sans doute été suivie de plusieurs autres si la mehalla, au lieu de perdre du temps, était entrée tout de suite en campagne et avait poussé avec vigueur les opérations contre Raïsouli. Mais pendant plusieurs jours elle n’a pas bougé. Cette immobilité a étonné ; elle a même inquiété sur les projets ultérieurs de Si Guebbas. Les Marocains aiment mieux négocier que se battre : on a pu craindre que Si Guebbas ne se perdît dans des négociations compromettantes. Tout le monde s’attendait à ce qu’il occupât Arzila : il n’en a rien fait. Les journaux ont reçu alors des télégrammes qui contenaient des explications assez singulières, à savoir que les Marocains faisaient entre eux ce qu’ils appellent la guerre de toile ou de coutil : ils étalaient dans la plaine le plus de tentes possible afin d’établir la supériorité de leurs forces, d’intimider l’ennemi et de l’amener à composition. Mais si on avait compté que les nombreuses tentes, que les kilomètres de toile de la mehalla produiraient cet effet sur Raïsouli, on s’était trompé. Raïsouli n’a pas tardé à montrer qu’on ne viendrait, à bout de lui que par la force effective et non pas par l’intimidation. Les lenteurs de Si Guebbas ont paru être de l’hésitation de sa part, et cette hésitation en a fait naître une autre parmi les tribus