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nièce de l’appui inespéré qu’elle lui apporte, Wagner, naturellement, lui parle de ses rêves et de ses travaux : ou quand, ensuite, il s’efforce d’offrir à la jeune fille quelques conseils dont elle puisse tirer profit, c’est encore dans son expérience propre qu’il ne manque pas de les prendre : « Indigne-toi le plus que tu pourras, — lui dit-il, — et ne cède jamais un seul pouce de tes convictions ; et lorsque tu sentiras que tu ne peux pas vaincre, continue à rire et à être gaie ! Je ne saurais te donner un meilleur conseil : car j’ai constaté, sur moi-même, que jamais je n’ai été vraiment malheureux que quand je n’ai pas pu être tout à fait moi, quand j’ai souhaité des choses impossibles, quand je me suis épuisé à vouloir unir l’eau et le feu, le bon et le mauvais. Tandis qu’à présent, pour vives que soient mes souffrances, je n’en souffre plus… Bien des choses se sont produites, en moi : il ne m’est pas possible de t’en parler maintenant. Toujours est-il que je poursuis ma route, et que longtemps, très longtemps, je vais être seul. Il m’est impossible, de faire que cela ne soit pas ! »

C’est alors qu’il écrit ses livres, « à la rédaction desquels il se sent poussé malgré lui. » Et les années passent, rapides, fructueuses, pleines de souffrances cruelles, — mais « dont il ne souffre pas. » Le 2 février 1851, il écrit à son beau-père Hermann Brockhaus « qu’il a trouvé un grand bonheur, le plus grand qu’il soit donné à un homme d’atteindre. » Ce « bonheur » est l’accomplissement de sa « mission : » et il ajoute que, désormais, « la vue même du monde, » et la conscience de « l’impossibilité où il est d’y réaliser son effort artistique, » ne l’émeuvent plus que « d’un déplaisir tout superficiel et tout passager. » Seule, la maladie l’importune et le désole, parce qu’elle l’empêche de se livrer entièrement à son art. Encore s’y livre-t-il en dépit de la maladie ; et bientôt aux écrits théoriques succède la création des poèmes et de la musique de son Anneau de Nibelung. « Depuis mon retour de Paris, je n’ai pas cessé de travailler, — écrit-il à sa nièce Claire Brockhaus, le 12 mars 1854. — L’Or du Rhin est presque fini ; je n’ai plus qu’à y revoir l’instrumentation. Cet été, je vais composer la Walkyrie ; le printemps prochain, ce sera le tour du Jeune Siegfried ; dételle sorte que je compte avoir terminé la Mort de Siegfried avant deux ans d’aujourd’hui. » Et toujours, dans les lettres qui suivent : « Je travaille comme un fou. » Ou bien encore : « De véritable repos, je n’en ai jamais : toute ma vie n’est qu’une alternative de grande excitation pendant le travail, et de grand anéantissement après l’excès du travail. »

L’aventure de Zurich, en 1858, paraît avoir eu pour effet de