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lueur des fourneaux ; cependant l’affluence du monde y était si grande qu’à peine avait-il de la place pour ses opérations. Les noms les plus fameux entrent dans la liste de ses auditeurs : les Rohaut, les Bernier, les Auzout, les Régis, les Tournefort. Les dames mêmes, entraînées par la mode, avaient l’audace de venir se montrer à des assemblées si savantes[1]. » Le cours de chimie, que Lémery imprime en 1675, se vend « comme un ouvrage de galanterie ou de satire. » Non moins qu’à celles de chimie on est assidu aux leçons d’anatomie que professe Du Verney. « Je me souviens d’avoir vu des gens de ce monde-là qui portaient sur eux des pièces sèches préparées par lui, pour avoir le plaisir de les montrer dans les compagnies, surtout celles qui appartenaient aux sujets les plus intéressans[2]. » C’est là que Mlle de Launay s’acquit la réputation d’être la fille de France qui connaissait le mieux le corps de l’homme… Nous pourtant, en présence de ces modes féminines d’il y a plus de deux cents ans, comment ne serions-nous pas frappés de voir à quel point y ressemblent certaines « nouveautés » qu’on est en train d’introduire dans l’éducation des jeunes filles ?… Fontenelle n’eut garde de se tenir en dehors du mouvement. Il nous conte que l’abbé de Saint-Pierre vint en 1686 s’établir avec le savant Varignon dans une petite maison du faubourg saint-Jacques. « M. Varignon était totalement enfoncé dans les mathématiques. J’étais leur compatriote et allais les voir assez souvent, et quelquefois passer deux ou trois jours avec eux… Nous nous rassemblions avec un extrême plaisir, jeunes, pleins de la première ardeur de savoir, fort unis, et ce que nous ne comptions peut-être pas alors pour un assez grand bien, peu connus[3]. » Ces « retraites scientifiques, » dans la solitude du faubourg Saint-Jacques, sont un des traits qui font le plus d’honneur à Fontenelle, et attestent qu’il y eut de bonne heure, chez lui, plus de sérieux qu’on n’eût pu le croire… C’est aussi bien dans une maison de ce même faubourg Saint-Jacques que d’autres solitaires, peu d’années auparavant, se réfugiaient pour y faire une « retraite morale. » En vérité, le siècle a changé !

C’est dans cette atmosphère toute chargée d’une électricité spéciale que Fontenelle conçoit l’idée d’écrire un livre où il combinera ses goûts de bel esprit avec sa curiosité pour le nouvel ordre de connaissances, où il mettra son habileté de littérateur au service de ses

  1. Fontenelle, Éloge de Lémery.
  2. Éloge de Du Verney.
  3. Éloge de Varignon.