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VI

Les pêcheurs sardiniers manquent vraiment de mémoire : pour les mettre en garde contre la pêche hauturière et en général contre tout changement trop complet et trop brusque apporté dans leurs habitudes, que ne se rappellent-ils le lamentable échec de leurs tentatives d’acclimatation en Tunisie et en Algérie ? M. Collignon, préfet du Finistère, voulut reprendre l’expérience en 1902. Mais les expériences de 1891 et de 1892 ne suffisaient-elles pas[1] ? Rien n’avait été négligé cependant, tant à Tabarka qu’à Philippeville, pour faciliter les débuts des émigrans. À Tabarka, les hommes étaient engagés à raison de 65 francs par mois ; les femmes à raison de 2 fr. 50 par jour pour la confection et la réparation des filets. En outre, chaque pêcheur avait droit à une part de pêche qui équivalait à 20 pour 100 de la récolte totale. Enfin les familles étaient logées gratuitement ; les enfans en bas âge recueillis dans des crèches et dans des écoles. Le Protectorat alla jusqu’à fournir aux pêcheurs de Tabarka, à titre remboursable, des médicamens et des vivres. Même sollicitude chez le gouvernement algérien pour les pêcheurs de Philippeville, qui recevaient, à titre d’indemnité, pour leurs frais de premier établissement 200 francs, s’ils étaient mariés, 100 francs, s’ils étaient célibataires, une maison, un mobilier et des vivres.

Voyons maintenant, par les rapports de M. Hanotaux, de M. Bouchon-Brandely et de M. Roche, ce que devinrent, entourés de toute cette sollicitude des pouvoirs publics, presque traités comme des fonctionnaires, les quarante émigrans bretons de Tabarka et de Philippeville. Au 1er janvier 1893, il ne restait plus en Afrique que vingt-huit émigrans. Encore sept ou huit de ceux-ci avaient-ils abandonné la pêche côtière pour s’engager « dans des industries n’ayant rien de maritime. » Dès le mois de mars sui-

  1. Trois autres tentatives de colonisation bretonne avaient été déjà faites, sans plus de succès, en 1845 et 1812, à Sidi-Ferruch, par le comte Guyot et l’amiral de Gueydon, en 1885 (?), à Sétubal, par M. Alfred Riom. On a parlé aussi, pour « désengorger » les ports bretons, d’organiser chaque année vers la Méditerranée une émigration volante des pêcheurs sardiniers analogue à celle des « islandais » et des « terreneuvas. » Ce projet, peu pratique, semble aujourd’hui abandonné. Le projet de M. Th. Garelle, partisan de l’émigration définitive, mais qui voudrait « donner à l’économie de l’émigration un caractère franchement capitaliste, » est encore celui de tous qui présenterait le plus de chances de succès.