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supportaient sans trop se plaindre les aléas du métier et l’extrême mobilité des cours : les années d’abondance alternaient avec les années de disette et en corrigeaient les effets ; il arrivait même que la crise tournait à l’avantage des deux parties[1]. Un patron sardinier, à moins de frais et avec moins d’efforts qu’aujourd’hui, en ces âges fortunés, gagnait bon an mal an de 15 à 1 800 francs dans ses cinq mois de campagne ; le simple pêcheur de 6 à 800 francs. Mais, — premier point à noter, — l’un et l’autre n’étaient pas encore ce qu’ils sont devenus si complètement depuis : à savoir de simples ouvriers d’industrie, pratiquant en quelque sorte, suivant l’expression de Pouchet, l’extraction d’une matière première. Du jour où on supprima les presses à sardines, l’usine, la « friture, » comme on dit sur la côte, devint la seule ou presque la seule clientèle du bateau sardinier. Or l’usine a de gros frais généraux ; sans parler des dépenses de premier établissement, le charbon, les approvisionnemens d’huile d’olive et d’arachide, la fabrication et le sertissage des boîtes grèvent lourdement son budget. De plus, il lui faut produire coûte que coûte, même en mauvaise année, pour exécuter des commandes acceptées sur la prévision d’une pêche moyenne. Le poisson est payé en conséquence. Bref, le prix du mille de sardines ne dépend plus seulement de la rareté et de la qualité du poisson, mais aussi des besoins des usines et de la nature de leurs engagemens[2].

Ces usines mêmes se sont multipliées à l’excès : de Trozouls (baie de Lannion) aux Sables-d’Olonne, on en compte tout près de 150, qui « versent annuellement aux pêcheurs de six de nos départemens de 10 à 12 millions de salaires, procurent bon an mal an 2 500 000 francs aux soudeurs, 3 000 000 aux femmes, 300 000 aux autres ouvriers, faisant subsister ainsi environ 40 000 familles, soit une population de 200 000 individus[3]. » Et sans doute on a péché de tout temps la sardine sur nos côtes ; mais c’est en 1825 seulement qu’un industriel lorientais du nom de Blanchard tenta d’appliquer à l’industrie sardinière les procédés découverts par Appert en 1804 pour la conservation des substances animales et végétales. Enhardis par son succès, les Sables (1832), Belle-Isle (1834), la Turballe (1841) fondèrent

  1. Cf. Rapport Fabre-Domergue et Potigny. (Voyez plus loin.)
  2. Tout ce raisonnement de Pouchet est resté inattaquable.
  3. Cf. Louis Ropers : La Crise sardinière. Paris, 1906.