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hante certains bords d’où on ne l’expulse qu’à coups de trique et d’exorcismes, semblait s’être multipliée et avoir pris possession de toutes les barques à la fois. Massés sur les jetées, les dunes et les falaises, usiniers, soudeurs, saleurs en vert, friteuses, commises, etc., tous ceux qui vivent de la mer, et qui quelquefois en meurent, suivaient d’un œil anxieux les évolutions de la flottille de pêche : si les mâts s’abattaient, si les barques demeuraient immobiles, c’est que la sardine avait enfin quitté les profondeurs. Les mâts ne s’abattaient pas ; les barques, sous leur misaine et leur taillevent, continuaient à sillonner la grise immensité. Elles rentraient avec le flot, la cale vide comme au départ. Changer de méthode et peut-être de terrain de pêche, recourir aux engins perfectionnés, sennes Belot, filets tournans Eyraud, Guézennec ou autres, prohibés par l’administration sur la demande des pêcheurs eux-mêmes, personne n’y songeait ou ne voulait y songer parmi les intéressés. Il était plus commode, plus conforme aussi à la résignation bretonne, de s’en remettre au ciel et d’attendre le salut d’un miracle. L’action syndicaliste, qui procède par étapes, ne s’était pas encore manifestée dans les ports sardiniers sur le terrain religieux : des pèlerinages furent organisés aux principaux sanctuaires du littoral ; Mgr Dubillard se rendit à Audierne, à Douarnenez et à Concarneau pour bénir la mer. Et il sembla d’abord que les prières de l’évêque, son geste auguste avaient conjuré le mauvais destin. Le 30 août, une barque d’Audierne rallia le port avec 2 000 sardines. L’équipage chantait, agitait ses bérets, était ivre de joie. Toutes les usines arborèrent leur pavillon : la sardine était de retour !

Le lendemain, elle avait disparu, soit qu’elle eût regagné le large, soit qu’elle eût replongé dans les profondeurs…

On la revit encore, de temps à autre, dans quelques baies, au voisinage de certaines îles : apparitions éphémères, que suivaient de longues, d’interminables éclipses où s’épuisaient les dernières ressources des pêcheurs. À la mi-novembre enfin, il fallut quitter tout espoir. En cinq mois de campagne, des patrons avaient gagné 40 francs… Mais à quoi bon poursuivre ? Tout a été dit sur la misère des sardiniers bretons et vendéens, misère quelque peu enflée par la plume complaisante des reporters, et qu’on a ensuite trop rabaissée aux proportions d’un simple incident économique. 21 000 pêcheurs, 15 000 cuiseuses et huileuses, 3 000 soudeurs, manœuvres, employés et ouvriers divers, soit