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social. Jusqu’à son dernier souffle, ses regrets et ses espoirs s’attacheront à une forme d’état social dans laquelle les « manans, » pleinement affranchis de Mammon, pourront réaliser le règne de Dieu. Les rêves sociaux de M. Kurth ne sont que des réminiscences, jalouses de s’incarner à nouveau : leur point d’attache est dans le passé ; c’est sur les ailes mêmes de l’histoire qu’ils prennent essor ; les années peuvent succéder aux années, durant lesquelles il leur sera difficile ou presque impossible de toucher au sol ; mais toujours soutenus par l’histoire, ils continuent de planer sans fatigue, patiens comme elle, patiens comme Dieu.

L’histoire, encore, soutient et fortifie les aspirations religieuses de M. Kurth : à l’époque même, déjà bien lointaine, où il compromettait son avenir universitaire en écrivant un roman contre la loi scolaire élaborée par le parti libéral[1], M. Kurth trouvait, dans l’histoire, des motifs d’affirmer la vocation catholique de son pays. Il y a chez lui un orgueil de terroir qui l’amène à revendiquer pour les Belges le droit de partager avec nous quelques-unes de nos gloires, et des plus pures. A l’entendre, celait un Belge que Clovis, et c’était un Belge que Charlemagne[2]. Belge authentique, d’ailleurs, ce Godefroid de Bouillon qui mit en branle le cortège des croisades. Est-ce à la vocation des Belges, ou bien à celle des Français, que s’appliquent ces graves documens qui jettent un éclat singulier sur la prédestination du peuple franc, la lettre de saint Rémi à Clovis, la lettre de saint Avit à Clovis, le prologue de la loi Salique ? M. Godefroid Kurth considère les mots : « Vive le Christ qui aime les Francs ! » comme le « premier cri par lequel l’âme belge s’est affirmée[3]. » Plus en avant dans le cours des siècles, il attribuerait volontiers aux évêques de Belgique, comme Guizot jadis aux évêques de France, l’honneur d’avoir fait leur pays. Interpellant Liège, la ville « libérale, » qui n’eut jamais avant lui un seul historien sérieux, il aime à lui rappeler qu’elle n’était rien avant que saint Lambert y fût tué, et que la ferveur des multitudes, s’attachant au tombeau du saint, conduisît les évêques de Maestricht à faire de ce hameau leur résidence[4] ;

  1. Jeanne ou la loi de malheur (sous le pseudonyme de Victor d’Hinselinne). Bruxelles, Albanel, 1884.
  2. Kurth, Manuel d’histoire de Belgique, 2e édit., p. 31 (Namur, Lambert de Roisin).
  3. Kurth, La patrie belge, p. 3-4 (Namur, Picard-Balon, 1898), reproduit dans la revue Les Questions actuelles, du 12 août 1905.
  4. Kurth, La commune de Liège dans l’histoire, p. 3 (Liège, Desoer, 1906).