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l’acte d’autorité, nous allions presque dire de souveraineté, par lequel il déclare synonymes le mot « chrétien » et le mot « moderne, » ne détourne pas l’attention de M. Kurth de tout ce qu’il y a de capricieux, de fortuit, d’indocile, dans le déroulement de notre civilisation. L’ère chrétienne n’est point une ligne droite ; l’ère chrétienne a ses tournans, et l’un des livres les plus originaux de M. Kurth, — celui qu’il faudrait choisir, peut-être, si dans son œuvre on n’en voulait lire qu’un seul, — nous donne précisément la substance d’un cours qu’il donnait en 1898 à l’« Extension universitaire pour femmes » d’Anvers, et dans lequel il parlait de l’Église aux tournans de l’histoire.

Il y dit avec sagacité, et avec éloquence, par quels coups de barre l’Eglise sut conduire l’humanité à travers vingt siècles d’histoire ; comment, n’étant au début qu’une « juiverie, » elle s’ouvrit aux Gentils ; comment, naturalisée romaine, elle s’ouvrit aux barbares ; comment, enclavée dans la féodalité qui voulait en faire « une religion de chapelle castrale, » elle fit craquer l’édifice et se dégagea ; comment, sous Léon XIII, « détachant sa cause de celle d’une classe qui voudrait la rendre solidaire d’elle, l’Eglise répondit à cette classe comme aux juifs, comme aux Romains, comme aux féodaux, comme à tous les revenans du passé, et conclut un pacte avec les forces vitales du XXe siècle[1] ; » et comment enfin ces divers coups de barre, surprenans parfois pour les contemporains comme le seraient des coups d’Etat, sont comme la conséquence d’une seule et même maxime de conduite, d’un seul et même programme de vie. Je ne sais aucun livre qui donne une impression plus frappante du mélange de variété et d’unité, de souplesse et de stabilité, qui distingue la politique romaine.


VI

« L’Église, disait M. Godefroid Kurth au terme de ces conférences, apporte un programme à ces masses populaires qui se lèvent et qui cherchent leur voie[2]. » A Liège même, ce programme faisait alors grand bruit, et l’une des voix les plus retentissantes qui l’annonçaient à la foule n’était autre que celle de M. Kurth.

  1. Kurth, L’Église aux tournans de l’histoire, p. 18, 33, 34, 65 et 153.
  2. Kurth, Ibid., p. 153.