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s’efforçât de faire le départ entre la poésie et l’histoire. M. Kurth s’y acharna, et publia l’Histoire poétique des Mérovingiens[1].

Assurément dans un tel travail il entre une vaste part d’hypothèse personnelle, ou, si l’on veut, d’arbitraire ; mais M. Kurth a réussi à limiter cet arbitraire en multipliant les rapprochemens ingénieux entre les légendes mérovingiennes et les autres légendes germaniques, anglo-saxonnes et Scandinaves. Retrouve-t-il, dans l’immense folk-lore de la barbarie, un épisode qui, par les procédés d’invention, de narration, d’amplification, rappelle le déroulement de quelque récit mérovingien, tout de suite son œil éplucheur s’arrête et s’attache, et soupçonne le chroniqueur gallo-romain d’avoir simplement reproduit certaines traditions orales, rythmées et non rythmées, qui circulaient parmi le peuple franc. L’imagination de M. Kurth se fait le témoin des imaginations barbares ; elle les regarde à l’œuvre, occupées à tisser sur un maigre canevas d’histoire la flamboyante tapisserie des légendes.

La psychologie de leurs héros est assez sommaire : on les fait volontiers, dans la légende, plus perfides, plus sanguinaires, plus criminels qu’ils ne le furent ; le barbare qui s’éleva au-dessus de son peuple est en général, dans les poèmes dont il devient l’objet, rabaissé au niveau de ce peuple, c’est-à-dire qu’involontairement ceux qui le chantent le diminuent, comme s’ils avaient besoin de le faire semblable à eux et médiocre comme eux pour prendre goût à le chanter.

La philosophie de l’histoire est à l’avenant de la psychologie ; elle se résume en une application très brutale et très enfantine de la loi du talion. Tout crime, pour les barbares, est une expiation d’un crime antérieur ; il suffit qu’ils voient un acte sanguinaire pour en imaginer un autre, dans le passé ; ainsi l’exige la représaille providentielle ; du sang est versé parce qu’on ne sait quel autre sang criait vengeance ; ce qu’on ne sait pas, on l’invente ; et la légende s’allonge, frissonnante, à travers une longue série de meurtres.

C’est en appliquant à l’histoire de Clovis et de sainte Clotilde ces procédés de critique, que M. Kurth, le premier, a supprimé de la vie de ces personnages certaines pages qui la ternissaient : après l’avoir lu, il est difficile de n’être pas convaincu que les faits de vengeance ou de cruauté qui leur furent à tous

  1. Paris, Picard, 1893.