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chef-d’œuvre. M. Kurlh contemple cette fusion, il l’admire, il en rapporte l’honneur aux deux principes de l’unité religieuse et de l’égalité politique[1]. Pour s’être courbé devant ces deux principes, pour avoir courbé devant eux les deux races auxquelles il commandait, Clovis est célébré par M. Kurth, en des termes sur lesquels nous aurons à revenir, comme le « créateur de la société politique moderne[2]. » Ce serait donc, si l’on peut ainsi dire, en antagonisme avec la notion de race, que la société politique moderne se serait fondée ; et l’on discerne dès maintenant que si le royaume catholique du converti Clovis était incontestablement plus « moderne » que les États voisins où régnaient des Ariens, M. Kurth cherchera dans l’idée catholique les motifs de cette supériorité.

Sans se formuler à eux-mêmes la théorie des races avec la rigueur parfois cynique qu’affiche une sociologie récente, les barbares, livrés à leurs instincts inconsciens, en auraient volontiers épuisé les conséquences les plus monstrueuses : l’Église franque eut cette gloire, aux regards de M. Kurth, de réduire ou d’annuler l’influence de la race, et de réaliser ainsi, — nous reprenons ici une expression de M. Brunetière, — « l’objet propre de la civilisation[3]. » Et si désormais il est constant que la personnalité des diverses races juxtaposées dans le royaume franc fut contenue et mortifiée, d’une façon durable, par les évêques auxquels obéissait un roi, et qu’un facteur moral, l’Église, annihila ce facteur matériel qu’était la race, il est interdit, par cela même, d’échafauder à l’avenir des interprétations de l’histoire de France, en vertu desquelles les luttes civiles ou sociales de quatorze siècles s’expliqueraient par l’hostilité durable entre certains atavismes. Notre nation serait au contraire, de toutes les nations du monde, celle dont les destinées furent le plus indépendantes de l’idée de race : le coup d’œil enquêteur jeté par M. Godefroid Kurth dans les lointaines profondeurs du passé éclairerait l’un des traits les plus frappans et les plus personnels de l’histoire de France.

  1. Kurth, Clovis, p. 585.
  2. Kurth, Ibid., p. 583.
  3. Voyez la Revue du 15 novembre 1895, p. 475. — De même, c’est au nom de l’idée catholique que M. Kurth, tout jeune, dans une série d’articles sur Sitting Bull, que publiait, en 1879, la Revue Générale de Bruxelles, attaquait en termes véhémens la politique de destruction suivie par les Américains contre la race rouge, et saluait les missionnaires belges qui s’étaient dévoués à cette race.