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Liège. Avec une belle fougue, il réfuta les subtiles et pénibles hypothèses des vieux étymologistes ; les Liégeois apprirent, pour toujours, que leur cité s’appelait tout d’abord vicus Leudicus, ce qui était la façon germanique de dire vicus publicus, et que ce mot se transforma progressivement en Leudium, Leugium, Legium, et puis en Legia, pour la commodité des poètes qui voulaient loger le nom de Liège dans leurs dactyles ; et cette provocante énigme fut décidément résolue[1].

Mais M. Kurth a fait plus et mieux, que d’émonder de quelques excroissances la frondaison de l’histoire, ou de débrouiller plusieurs de ces devinettes par lesquelles le passé semble défier le présent ; il a tracé, pour la recherche et l’interprétation des événemens historiques, certaines routes, qui font avenue vers des horizons nouveaux. Si l’on nous demandait quelles sont les thèses, avancées par M. Kurth, auxquelles les historiens ne sauraient refuser leur attention, sinon leur créance, volontiers nous les ramènerions à trois, dont la première concerne les rapports primitifs entre la langue et la nationalité, la seconde, les caractères de la conquête franque, et la troisième, les sources épiques de notre ancienne histoire de France.

L’ouvrage de M. Godefroid Kurth sur La frontière linguistique en Belgique et dans le nord de la France[2]donne une rare leçon de sagesse et de sagacité à cette catégorie spéciale de savans qui « documentent » à l’avance les revendications des chancelleries, et qui sont tout prêts à baptiser allemande toute terre où l’on dit Ja, ou bien italienne toute terre où l’on dit si. M. Kurth, qui revendique en ce moment même une certaine autonomie linguistique pour les Belges de langue allemande voisins des provinces rhénanes, ne voudrait certes pas être confondu avec ces fourriers de l’Empire, qui s’appellent les pangermanistes. Tout au contraire, tandis qu’au-delà du Rhin le pangermanisme, au-delà des Alpes l’irrédentisme, appuient sur des argumens de linguistique leurs turbulentes aspirations, le livre de M. Kurth établit avec netteté que l’introduction de pareils argumens dans les débats de politique internationale est d’une date singulièrement récente.

Remontant à dix et quinze siècles en arrière, M. Kurth constate, chez les peuplades d’alors, le « manque absolu de

  1. Kurth, Les Origines de la ville de Liège (Liège, Grandmont-Douders, 1883).
  2. Bruxelles, Société belge de librairie, 1898, 2 vol.