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lui, entre le professeur et le chrétien, aucun cloisonnement factice fût dressé ; il n’aurait pas souffert davantage qu’on emprisonnât sa gloire dans le calme des bibliothèques, où son imagination excelle à reconstruire le passé, et qu’on jetât je ne sais quel voile pudique sur la turbulence des meetings, où parfois son éloquence fit le geste de construire l’avenir. M. Godefroid Kurth ne pouvait consentir à être fêté, qu’à la condition de ne laisser infliger aucune brisure, ni même aucun morcellement, à l’unité de sa vie.

Sur les vieux triptyques rhénans, de belles silhouettes de saints batailleurs, éclairant d’une lumineuse auréole l’obscurité menaçante de leurs armes, montent la garde autour du Christ, et puis, brusquement, renvoient l’œil du fidèle vers la tache centrale du tableau, vers le Dieu qui les enrôle au service de son règne. Professeur, M. Godefroid Kurth a l’air d’être descendu dans l’existence comme y descendirent les saint Georges et les saint Géréon, équipés et mobilisés par la peinture allemande. Ceux-ci tenaient l’épée, il tient, lui, des documens ; mais c’est le même combat qu’il livre, avec d’intrépides parades, qui lui assurent une place très originale parmi les historiens contemporains. Le combat, d’ailleurs, est franc et loyal ; M. Kurth est un inattaquable érudit ; et parmi les nombreux disciples qu’il eût voulu conduire à confesser sa foi, il n’en est aucun, du moins, qui ne confesse sa bonne foi.


I

Il n’y avait pas en Belgique, à proprement parler, un enseignement supérieur de l’histoire, lorsque M. Godefroid Kurth, il y a quelque trente ans, commença d’occuper une chaire. M. Michel Bréal qui, vers cette époque, explorait les universités belges, constatait que les cours d’histoire, destinés aux étudians de première année, ne faisaient, en définitive, que prolonger d’une façon toute superficielle l’enseignement secondaire, ce que là-bas on nomme l’enseignement moyen[1]. Les impressions de M. Michel Bréal étaient confirmées par l’aveu même des spécialistes bruxellois. « L’histoire, écrivait l’un d’entre eux, est la

  1. A Godefroid Kurth, professeur à l’Université de Liège, à l’occasion du XXVe anniversaire de la fondation de son cours pratique d’histoire, p. 171 (Liège, Poncelet, 1899).