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résistance sera forte et soutenue. » Les retranchemens furent enlevés d’assaut avec intrépidité, un élan superbe, malgré une si longue approche à découvert.

Le combat dura jusqu’à neuf heures et la victoire fut chèrement payée. Les blessés furent conduits à l’ambulance de Cho-Quan, quelques-uns à l’hôpital de Saïgon.

Aussitôt après l’action, M. Manein, ingénieur hydrographe levant le plan de la bataille, s’approcha des morts laissés momentanément sur le terrain. Il vit que l’un d’eux respirait encore[1]. Le sang coulait de ses lèvres. M. Manein l’emporta dans ses bras. C’était mon frère.

A huit heures et demie, — écrit M. H…, lieutenant de vaisseau, — à la fin de l’action, il avait reçu au flanc gauche une balle, qui, après avoir froissé les enveloppes cardiaques, se logea sur le diaphragme (d’où elle ne put jamais être extraite). Dans la salle où on le déposa, les médecins allaient rapidement de l’un à l’autre, obligés souvent de négliger un homme qu’ils considéraient comme perdu pour donner leurs soins à ceux qu’ils espéraient sauver.

En passant près de lui, le chirurgien, M. Le Noury, se pencha et, ayant examiné sa blessure, s’éloignait en lui murmurant un adieu, lorsque le pauvre blessé, qui comprenait tout ce qui se passait autour de lui, eut la force de faire un mouvement de la main comme pour un appel suprême, assez à temps pour être aperçu du chirurgien qui revint. Mon ami était sauvé grâce à son énergie.


La France retentit de ce fait d’armes. Les journaux donnèrent le chiffre des combattans, nommant les officiers blessés ou morts. Parmi les premiers nous vîmes le nom de Le Brieux, précédant ces mots : <« blessé très grièvement. » Comprenez, si vous pouvez, ce qui se passa en nous. Figurez-vous les heures qui suivirent, puis les journées, puis les semaines… Nous avons vécu ainsi pendant un mois, trente jours.

La vie semblait suspendue à un seul espoir, et cet espoir s’affaiblissait avec le temps qui passait. « S’il est mort, j’en mourrai, » disait mon père.

Quant à ma mère, je n’ai pas d’expression pour peindre son

  1. Faut-il croire aux pressentimens ? Le matin de ce jour il disait à un de ses camarades de colonne : « J’aurai, comme mon père, le bras emporté. » C’est en voulant faire de sa main un abri contre les rayons du soleil qui l’aveuglaient, qu’il découvrit sa poitrine.