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Ce que nous connaissions des débuts de la guerre, de ses complications, ajoutait à nos craintes. Ma mère, qui s’alarmait des événemens et même des choses, savait que les canaux, appelés là-bas des arroyos, avaient des bords dangereux, pouvant abriter des caïmans ; de plus, les rives des cours d’eau si nombreux dans ces régions étaient un fouillis de plantes souples et impénétrables à l’œil. Mon frère nous en avait décrit l’aspect enchanteur, surprenant, tout nouveau pour lui. Mais quelle facilité pour les surprises, les embuscades d’ennemis toujours prêts à l’attaque perfide, pouvant frapper sûrement et se dérober aussitôt ! « Ce sont des fourbes, — écrivait Robert, — ils l’ont été, ils le sont, ils le seront toujours ; — au fait, comment les juger ? ils n’ont pas notre âme. »


Non sans motif, nous redoutions la cruauté de ces peuples ayant toutes les finesses, les ruses des races orientales. Les Français, — disaient les Annamites, — sont des lions, mais nous sommes des renards.


Rade de Che-Fou, 12 juillet 1860.

Mes chers aimés,

Puisqu’on ne me dit rien de personne, j’augure que vous allez tous bien. Quant à moi, je me porte divinement. Nous sommes maintenant très occupés, c’est ce qu’il me faut.

Toutes les forces navales et terrestres sont réunies ici, et cet appareil de force est très beau à voir.

Après leur arrivée, les troupes ont débarqué et établi leur campement dans une petite presqu’île, en se groupant auprès d’une grande tour carrée qu’on avait d’abord prise pour un fort, et qui n’est qu’un tombeau de mandarin.

Il est arrivé à ce sujet une chose assez drôle. Lorsque les premiers bâtimens abordèrent à Che-fou, l’amiral Protêt qui les commandait prit cette tour grise pour un fort sérieusement gardé. Les chaloupes portèrent sur le rivage les troupes de débarquement.

Figurez-vous le désappointement général quand on vit, au sommet de la tour, flotter le pavillon français sans qu’un seul coup de fusil se fit entendre.

Tout notre vocabulaire de jurons, — et je vous assure qu’il y en a, — témoigna de notre colère. Je vous en épargne