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Mme Le Brieux à Monseigneur Plantier, évêque de Nîmes.

Monseigneur,

Mon fils, à qui vous avez témoigné tant de bienveillance, vient de me quitter et mon amour ne peut rien contre sa volonté. Il a fait preuve de cette qualité que vous vouliez bien lui reconnaître, — la fermeté, — mais j’ai compris tout son chagrin lorsqu’il m’a dit adieu. Je n’oublierai jamais ni l’expression de son regard, ni l’émotion de sa voix à ce moment.

Cette mer qui l’emporte, je la redoute comme une ennemie. Les naufrages, les climats meurtriers, — les guerres possibles[1], les maladies, tout m’épouvante. À ces terreurs se joint une autre crainte. Son enthousiasme l’exalte et l’excite ; mais il ignore la prudence nécessaire à tout contact. Je crains ce qui pourrait le troubler.

Cependant nous avons un appui dans la personne de M. de K… présenté par un ami de mon mari. Il a une distinction rare sous des formes très simples ; c’est aussi un Breton, un cœur d’or. Il n’a que vingt-huit ans, mais ses principes de religion et de morale sont solides. Je puis le regarder comme le soutien et l’exemple de Robert ; car il y a de bonnes contagions. Il va en Chine sur la Renommée et nous recourons à toutes nos influences pour que mon cher enfant embarque avec lui. Si cela est, ils quitteront Brest le mois prochain, pour revenir après trois ans, si Dieu le veut. J’ai été trop frappée dans mon fils aîné pour être encore en confiance, et si la Chine nous est aussi fatale que l’Italie, que deviendrai-je ? Faut-il donc donner le jour à des enfans, les chérir et les perdre ?…


II
A mon père, à ma mère.

Permettez-moi de vous embrasser comme je le faisais naguère avec tant de bonheur.

En arrivant à Brest, j’ai rendu visite au vice-amiral, préfet

  1. À cette époque, la guerre de Chine préoccupait peu les esprits, on en parlait rarement.