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Si Dieu le veut, j’irai bientôt vous embrasser et réclamer les soins que votre tendresse voudra prodiguer à votre vieil invalide.

Ma plaie est couverte de glace à cause de l’extrême chaleur, et je ne prends que des sorbets. Je n’ai pas de fièvre, ce qui est surprenant. Les contusions des jambes, produites par les éclats d’obus, sont moins sensibles, et j’ai un peu dormi cette nuit.

Dans une quinzaine de jours j’espère me faire transporter à Milan.

Un jeune franciscain du couvent de Saint-Joseph, le frère Emilio, ne me quitte pas. Il a pour moi des attentions filiales.

C’est lui qui vous écrit sous ma dictée. Il m’a procuré des nouvelles de mon cher enfant et de mon ami de L…, tous deux blessés peu grièvement.

Merci de vos tendres lettres. Certes, on n’est pas à plaindre quand on se sent aimé ainsi. Cela me fait du bien et, en attendant que vous me guérissiez là-bas, vous me rendez bien heureux dans mon exil.


Si mon père écrivait aussi fréquemment, on doit pressentir ce que devaient être les lettres de ma mère ! Je ne puis les communiquer, il me semble qu’elles sont à celui-là qui seul les inspirait, mais le cri maternel s’y faisait entendre, angoissé, profond : « Mon fils, où est-il ?… » puis le lendemain : « L’as-tu vu, où est-il blessé ?… Mon Dieu, quelle épouvante me saisit ! On ne trouve son nom sur aucune liste d’ambulance, pourquoi ? Je vais écrire à Paris ; à Gênes, où M. de Cambis est intendant de l’armée. Il nous connaît assez pour m’envoyer une dépêche… Que pouvons-nous, pauvres femmes ? Rien… rien… »

M. Robert Le Brieux à Mme Le Brieux.


Brest, 30 juin 1859.

Ma mère, ma sœur,

Je suis si seul, si affligé que je demande au moins quelques lignes chaque jour.

Je suis dans mes examens jusqu’au cou. Je travaille beaucoup, mais mal, car la bataille de Solférino est toujours présente à mon esprit. Je n’ai plus d’autre pensée.

Je suis las de cette vie solitaire. Si ce chagrin est le premier que je connaisse, oh ! qu’il est lourd !