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canon se mit bientôt de la partie et le combat s’engagea tout autour du village qu’il fallut prendre. Je dus mettre pied à terre, le terrain étant coupé de rizières et de fossés profonds.

Les Autrichiens firent balayer la plaine par la mitraille. Le sifflement des projectiles était incessant. En traversant un grand champ, le général *** me montra du doigt une ferme-redoute qui faisait tirer sur nous un terrible feu de mousqueterie. Je partis.


II
A Mme Le Brieux.


12 juin, Melagnano.

Ma bien chère femme, et toi ma fille,

Je ne veux pas vous laisser plus longtemps sans nouvelles de l’exilé.

J’ai bien hâte que cette guerre se termine. Il me semble que je n’aurai de bonheur qu’auprès de vous. Ne craignez pas que ces pensées de regret et d’espoir m’amollissent. J’ai confiance en Dieu qui vient de manifester visiblement sa protection, car cette fois encore, j’ai été divinement préservé.

Une rivière et un vaste champ sillonné par les balles nous séparaient d’une ferme-redoute (Capuccino) qu’il fallait prendre et cette ferme surmontait un roc. Nous étions mitraillés. Je me jetai à l’eau le premier. Les autres me suivirent, mon cher et brave L… à mes côtés.

Ensuite nous traversâmes lestement le champ. Littéralement, nous courions sous les balles. Au pied du mamelon j’enlevai mes hommes : « Mes enfans, en avant ! »

Ils volèrent avec un ensemble admirable, j’ouvris un feu très vif sur l’intérieur de la redoute où se trouvaient encore 200 Autrichiens commandés par plusieurs officiers.

Le combat fut rude. Dès que les Autrichiens nous virent couronner la hauteur et pénétrer dans leur redoute, ils jetèrent les armes et se rendirent.

J’eus toutes les peines du monde à faire cesser le feu. Ma voix ne pouvait se faire entendre, et une balle vint frapper le commandant autrichien.