Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 37.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après un séjour à Montebello, mon père arriva le soir du 29 mai à Bussignano ; le lendemain, il se trouvait à Valenza, puis à Casale, à Vercelli, non loin de Robbio. Il y eut quelques engagemens auxquels il prit part, sans en être victime. Un mot de lui nous apprenait ses mouvemens, nous informait de la direction que suivait mon frère, et chacune de ses lettres se terminait par ces paroles : « être courageuses et confiantes en Dieu. »

De son côté, le général Mac Mahon ayant jeté des ponts sur le Tessin le passait pour se porter à Turbigo. Il s’approchait de Milan, mais avant d’y arriver, les armées ennemies devaient se rencontrer à Magenta.

La gloire de cette journée fut payée par bien des vies. Il faut avoir subi « la loi d’airain » pour se rendre compte de ce que nous avons éprouvé aussitôt après cette journée où mon frère combattit. Pendant quarante-huit heures nous traversâmes toutes les phases de l’angoisse. Enfin cette torture cessa. Sachant sain et sauf celui pour qui nous avions tremblé, nous retrouvons des forces pour rendre grâces à Dieu, mais si notre bien-aimé Jean sortit vivant de cette lutte, il en conservait une étrange amertume.

A Mme Le Brieux.

Sous la tente.

Ma mère,

Je suis épargné et ne m’en réjouis que pour toi. Qu’ai-je donc fait au ciel pour être jeté dans une carrière où on tue ses semblables, des frères !… Donner la mort à des êtres qu’on voudrait aimer, crois-moi, c’est hors nature.

Non qu’il sentit s’ébranler son courage, mais il ne connut pas l’enivrement qui transporte et enlève le soldat. Son mérite et sa valeur se révèlent par la conception austère du devoir. « On croit dans le monde que la bravoure est une chose commune et brutale. On se trompe fort : elle est rare et raisonnée, il n’y a rien de plus brave qu’un honnête homme[1]. »

Inégalement épris de gloire, mais également épris d’honneur, les yeux levés sur leur drapeau, ils remplirent leur devoir, le remplirent tout entier, dignement.

En somme, quelle est la source du courage, qu’est-ce qui l’inspire ? Est-ce la générosité qui porte l’homme au suprême sacrifice, le don de sa vie ? Est-ce l’ambition, l’enthousiasme, la recherche de la gloire ?

  1. Le lieutenant-colonel de Maussion en parlant du général Bugeaud.