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galanterie. Je n’appréciai pas bien leur motif, et je les chassai à grands coups de fouet. L’un des deux hommes m’apostropha assez grossièrement. Je lui répondis de même, et lui demandai son nom. Il me dit, en continuant les injures, qu’il s’appelait le chevalier Duplessis d’Épendes, et après nous être querellés encore quelques minutes, nous convînmes que je me rendrais chez lui le lendemain pour nous battre. Je retournai à Lausanne, et je racontai mon aventure à un de mes cousins en le priant de m’accompagner. Il me le promit, mais en me faisant la réflexion qu’en allant moi-même chez mon adversaire, je me donnais l’apparence d’être l’agresseur, qu’il était possible que quelque domestique ou garde-chasse eût pris le nom de son maître, et qu’il valait mieux envoyer à Épendes, avec une lettre pour m’assurer de l’identité du personnage, et dans ce cas fixer un autre lieu de rendez-vous. Je suivis ce conseil. Mon messager me rapporta une réponse qui certifiait que j’avais bien eu affaire avec M. Duplessis, capitaine au service de France, et qui d’ailleurs était remplie d’insinuations désobligeantes sur ce que j’avais pris des informations, au lieu de me rendre moi-même au lieu et au jour qui étaient fixés. M. Duplessis indiquait un autre jour sur territoire neuchâtelois.

Nous partîmes, mon cousin et moi, et pendant la route nous fûmes d’une gaieté folle. Ce qui me suggère cette remarque, c’est que tout à coup mon cousin me dit : « Il faut avouer que nous y allons bien gaiement. » Je ne pus m’empêcher de rire de ce qu’il s’en faisait un mérite à lui qui ne devait être que spectateur. Quant à moi, je ne m’en fais pas un non plus. Je ne me donne pas pour plus courageux qu’un autre, mais un des caractères que la nature m’a donnés, c’est un grand mépris pour la vie, et même une envie secrète d’en sortir pour éviter ce qui peut encore m’arriver de fâcheux. Je suis assez susceptible d’être effrayé par une chose inattendue qui agit sur mes nerfs. Mais dès que j’ai un quart d’heure de réflexion, je deviens sur le danger d’une indifférence complète. Nous couchâmes en route et nous étions le lendemain à cinq heures du matin à la place indiquée. Nous y trouvâmes le second de M. Duplessis, un M. Pillichody d’Yverdon, officier comme lui en France, et qui avait toutes les manières et toute l’élégance d’une garnison. Nous déjeunâmes ensemble : les heures se passaient, et M. Duplessis ne paraissait pas. Nous