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cachait, en m’offrant encore ses secours, ni sa désapprobation de ma conduite, ni la pitié qui le décidait à me secourir, et son assistance était revêtue des formes les plus blessantes. Pour se dispenser de me prêter un sol, il me proposa de venir dîner chez lui tous les jours et pour me faire sentir qu’il ne me regardait pas comme un ami qu’on invite, mais comme un pauvre qu’on nourrit, il affecta de n’avoir à dîner, pendant cinq ou six jours, que ce qu’il fallait pour sa femme et pour lui, en répétant que son ménage n’était arrangé que pour deux personnes. Je supportai cette insolence, parce que j’avais écrit aux banquiers, malgré la défense de mon père, et que j’espérais me retrouver en état de faire sentir à mon prétendu bienfaiteur ce que ses procédés m’inspiraient. Mais ces malheureux banquiers étant, ou se disant à la campagne, me firent attendre leur réponse toute une semaine. Cette réponse vint enfin et fut un refus formel. Il fallut donc m’expliquer une dernière fois avec Kentish, et il me prescrivit de vendre mon cheval et d’aller, avec ce que j’en retirerais, comme je pourrais, où je voudrais. Le seul service qu’il m’offrit fut de me mener chez un marchand de chevaux qui me l’achèterait tout de suite. Je n’avais pas d’autre parti à prendre ; et après une scène attendrie où je me serais brouillé tout à fait avec lui s’il ne s’était pas montré aussi insensible à mes reproches qu’il l’avait été à mes prières, nous allâmes ensemble chez l’homme dont il m’avait parlé. Il m’offrit quatre louis de ce cheval qui m’en avait coûté quinze. J’étais dans une telle fureur qu’au premier mot je traitai indignement cet homme qui au fond ne faisait que son métier, et je faillis être assommé par lui et ses gens. L’affaire ayant manqué de la sorte, Kentish, qui commençait à avoir autant d’envie d’en finir que moi, m’offrit de me prêter dix guinées à condition que je lui donnerais une lettre de change pour cette somme, et que de plus je lui laisserais ce cheval qu’il promit de vendre comme il le pourrait à mon profit. Je n’étais le maître de rien refuser.

J’acceptai donc, et je partis, me promettant bien de ne plus faire d’équipée semblable. Par un reste de goût pour les expéditions chevaleresques, je voulus aller à franc étrier jusqu’à Douvres. C’est une manière de voyager qui n’est pas d’usage en Angleterre, où l’on va aussi vite et à meilleur marché en chaise de poste. Mais je croyais indigne de moi de n’avoir pas un cheval entre les jambes. Le pauvre chien qui m’avait fidèlement