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n’avait point sur lui, comme moi, toute sa fortune, trouvait ma résolution absurde. Enfin notre route s’acheva sans que j’eusse occasion de déployer mon courage. De retour à Londres, je laissai encore plusieurs jours s’écouler sans rien faire. A mon grand étonnement, mon indépendance commençait à me peser. Las d’arpenter les rues de cette grande ville où rien ne m’intéressait, et voyant diminuer mes ressources, je pris enfin des chevaux de poste et j’allai d’abord à Newmarket. Je ne sais ce qui me décida pour cet endroit, à moins que ce ne fût le nom qui me rappelait les courses de chevaux, les paris et le jeu dont j’avais beaucoup entendu parler : mais ce n’était pas la saison. Il n’y avait pas une âme. J’y passai deux jours à réfléchir sur ce que je voulais faire.

J’écrivis bien tendrement à mon père pour l’assurer que je ne tarderais pas à retourner auprès de lui ; je comptai mon argent que je trouvai réduit à 16 guinées, puis, après avoir payé mon hôte, je m’esquivai à pied, allant toujours droit devant moi, avec la résolution de me rabattre sur Northampton, près d’où il y avait un M. Bridges que j’avais connu à Oxford. Je fis le premier jour 28 milles par une pluie à verse. La nuit me surprit dans les bruyères très désertes et très tristes du comté de Norfolk : et je recommençai à craindre que les voleurs ne vinssent mettre un terme à toutes mes entreprises et à tous mes pèlerinages en me dépouillant de toutes mes ressources. J’arrivai pourtant heureusement à un petit village nommé Stokes. On me reçut indignement à l’auberge parce qu’on me vit arriver à pied et qu’il n’y a en Angleterre que les mendians et la plus mauvaise espèce de voleurs nommés « Footpads » qui cheminent de cette manière. On me donna un mauvais lit, dans lequel j’eus beaucoup de peine à obtenir des draps blancs ; j’y dormis cependant très bien, et à force de me plaindre et de me donner des airs, je parvins le matin à me faire traiter comme un gentleman et à payer en conséquence. Ce n’était que pour l’honneur, car je repartis à pied après avoir déjeuné et j’allai à 14 milles de là dîner à Lynn, petite ville commerçante, où je m’arrêtai de nouveau, parce que ma manière de voyager commençait à me déplaire. J’avais eu toute la matinée un soleil brûlant sur la tête, et quand j’arrivai j’étais épuisé de fatigue et de chaleur. Je commençai par avaler une grande jatte de négus, qui se trouva prête à l’auberge : ensuite je voulus prendre quelques arrangemens pour continuer