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semble qu’il ait des trésors d’indulgence pour « l’Alcibiade de la Montagne » et qu’il soit constamment sous le charme de la beauté, du savoir et de l’éloquence de cet ambitieux politicien ; nous ne nous laisserons pas entraîner de la sorte, et nous examinerons plus froidement les chefs d’accusation qui pèsent si lourdement sur la mémoire du cynique Jacobin.

Élu député à l’Assemblée législative le 16 septembre 1791, Hérault ne tarda pas à descendre la pente glissante qui conduisait des Feuillans à la Gironde et de la Gironde à la Montagne. Un an après, le 1er septembre 1792, il fut porté au fauteuil présidentiel. Les prisons vont se remplir d’innocens, les massacres vont ensanglanter la rue, et celui qui est alors le premier magistrat de France ne fera que de loin en loin le geste de calmer les assassins. Le 2 novembre, l’ancien Girondin fut élu par la Montagne président de la Convention : il témoignait sa reconnaissance en défendant Robespierre contre Louvet et Barbaroux. — Hérault jugea prudent de s’éloigner avant que le procès de Louis XVI ne commençât : il se fit donner avec Philibert Simond une mission en Savoie, pour gagner ce pays aux idées révolutionnaires. « Quelques semaines après leur arrivée, — dit M. Ernest Daudet, — les citoyens commissaires étaient exécrés autant que redoutés… Absens de Paris, les représentans du peuple en mission auraient pu se dispenser de s’associer au vote de la Convention qui prononçait la mort du Roi. Mais ils revendiquèrent leur part de responsabilité et s’associèrent à ce crime, en écrivant de Chambéry : « que leur vœu était pour la condamnation de Louis Capet sans appel au peuple. »

Le plus beau jour de l’Alcibiade de la Montagne fut, au dire de M. Dard, le 10 août 1793. Hérault, qui venait de donner une Constitution à la France, célébra le culte de la Nature sur la place de la Bastille. La Bibliothèque nationale possède une estampe qui permet de se représenter les scènes de folie auxquelles donna lieu cette l’été démagogique. « Étrange fête, écrit Taine à ce sujet, et qui exprime bien l’esprit du temps : c’est une sorte d’opéra que les autorités publiques jouent dans la rue, avec des chars de triomphe, des encensoirs, des autels, une arche d’alliance, des urnes mortuaires et le reste des oripeaux classiques. » Quelques jours après, Hérault apprenait que son grand-oncle, M. Magon de la Balue, âgé de quatre-vingts ans, avait été incarcéré à la Force. Nicolas Berryer, qui était lié avec la famille, supplie le président de l’Assemblée, membre du Comité de Salut public, d’intervenir. Hérault répond « qu’il se