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une opposition qui grossissait chaque jour. Elle grossissait surtout d’élémens empruntés au Centre catholique. Dans une sorte de corps à corps qui s’était produit entre M. Rœren, membre du centre, et M. Dernburg, ce dernier s’était laissé emporter à des paroles extrêmement vives : il avait même parlé de « chantage, » chantage politique bien entendu. Mais cette expression, employée pour qualifier l’attitude du centre, n’avait pas, on le pense bien, calmé des esprits déjà très échauffés. Elle avait agi comme de l’huile sur le feu. Quelques jours plus tard, la commission du Reichstag ayant pris une résolution défavorable au crédit demandé, ou au chiffre de ce crédit, l’Empereur lui-même avait écrit une lettre indignée au président de l’Assemblée, M. Ballestrem, membre du centre. C’est, en effet, de la défection du Centre catholique que venait le danger parlementaire. Ce parti, le plus important de l’Assemblée, car il compte plus de cent membres, après avoir longtemps soutenu le gouvernement et y avoir trouvé des profits très appréciables, passait peu à peu à l’opposition, sans que nous puissions dire avec certitude à quel genre de sentiment il obéissait. Quoi qu’il en soit à cet égard, le gouvernement a fini par prendre ombrage de l’importance du Centre et de la manière dont il en usait. Tous ces symptômes ont été les avant-coureurs de la tempête qui a éclaté subitement. Elle a été courte, mais décisive, car elle a emporté le Reichstag tout entier.

On a pu voir, dès l’ouverture de la séance du 13 décembre, que la patience du chancelier était à bout. Il lui aurait été probablement facile, s’il avait consenti à louvoyer, à faire quelques concessions, à user de ces ménagemens habiles qui donnent de la séduction à sa parole, de rallier autour de lui une majorité de quelques voix. Il a mieux aimé foncer sur l’adversaire, en déclarant, non sans véhémence, qu’une question patriotique était en jeu ; qu’il s’agissait de savoir si l’Allemagne, qui était une grande nation européenne, serait aussi une grande nation mondiale ; que, pour qu’il en fût ainsi, le gouvernement seul pouvait juger des moyens nécessaires ; qu’il ne consentirait pas à ce qu’on les lui marchandât ; enfin qu’il ne capitulerait pas. On a compris alors que la partie était fort sérieuse ; mais, de part et d’autre, on s’y trouvait trop engagé pour reculer. C’est du moins ce qu’a cru la majorité du Centre. Le vote s’est produit au milieu d’une agitation, d’une émotion extrêmes. Au dépouillement, le gouvernement était battu par une dizaine de voix. Aussitôt, le chancelier a tiré de sa poche un décret de dissolution dont il a donné lecture sur un ton irrité. Le sort en était jeté : le gouvernement prenait le pays