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morphologiques devaient être compatibles avec cette règle fondamentale de l’unité vitale. La zoologie et la botanique d’un côté, la physiologie générale, de l’autre, formèrent des domaines distincts, des états indépendans, mais non point ennemis. Les doctrines, les hypothèses fondées sur la considération des formes, de leurs enchaînemens, de leur succession, ne furent point considérées par les physiologistes, comme contradictoires au principe de leur science. Ceux d’entre eux qui, sortant de leur compartiment professionnel, voulurent se mêler au mouvement de leur temps, ont pu être transformistes, évolutionnistes selon Lamarck, Darwin ou de Vries, partisans de la ségrégation ou des mutations périodiques, sans renier leur fixisme physiologique, d’ailleurs relatif comme il sera dit tout à l’heure. Et, par réciprocité, les naturalistes les plus attachés à la doctrine de l’évolution et à ses différentes femmes ne furent point gênés dans leurs convictions par l’affirmation d’un fonds vital commun chez des êtres dont les formes et les degrés de complication structurale les intéressaient seuls.

Les biologistes de profession sont donc fort étonnés de voir aujourd’hui des publicistes annoncer la faillite du transformisme. Et pourquoi ? parce qu’ils redécouvrent la permanence du fonds vital sous le déguisement des formes changeantes. Des philosophes peuvent être déçus, si, ayant fait de l’évolution, — et de l’évolution rapide, — l’unique loi du monde vivant, ils aperçoivent tout à coup un ordre de phénomènes qui résiste à cette loi ou, plutôt, qui lui obéit plus lentement. Les naturalistes et les physiciens sont plus habitués à ces restrictions des lois prétendues d’abord universelles. Ils admettent parfaitement que le transformisme peut consister en une simple variation des formes animales. Ils ont appris jadis, sans étonnement que « ce qui change, ce qui se transforme, ce qui s’adapte, c’est la forme, c’est l’ossature, c’est l’apparence extérieure des êtres… » Il y a beaux jours qu’ils ont entendu des formules comme celle-ci : « Le nombre des formes animales peut être infini, la matière dont elles sont constituées reste unique… » Avec les restrictions convenables, rien n’est plus vrai que cette assertion, et rien n’est moins neuf.


La fixité du fonds vital, l’école nouvelle ne l’entend pas comme nous. Au lieu de lui conserver la base solide des faits sur lesquels Claude Bernard l’a établie, elle l’étaye sur des conceptions intéressantes, mais singulièrement fragiles. Elle en fait un principe absolu, tandis que nous la regardons comme une vérité relative dont il faut mesurer la portée et tracer les limites avant d’en tirer les conséquences.