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les avoir bien célébrées, dans une langue qui correspondait à ses propres besoins d’ampleur, d’enchaînement et de clarté.

Honnête homme dans tous les sens du mot, l’ancien et le moderne, il était jusqu’aux moelles du XVIIe siècle, du temps où l’homme sûr de son pouvoir ne regardait guère la nature, sinon pour l’assujettir à l’obéissance, pour y imprimer sa marque dans les lignes géométriques et la taille tyrannique des bosquets. A l’égal des gens d’alors, et de ceux du moyen âge qui leur avaient légué une tradition d’ascétisme, notre contemporain nourrissait contre cette nature envahissante et pécheresse les défiances d’un roi menacé dans sa domination. Les beaux paysages, les œuvres d’art qui s’inspirent du sentiment, la musique en particulier, ne lui donnaient le plus souvent que le plaisir subtil d’en bien raisonner. Il fut peut-être le seul grand lettré du XIXe siècle pour qui Rousseau n’avait pas existé, ni le fils aîné de Rousseau, Chateaubriand, et qui n’eût pas dans le sang une seule goutte de leurs délicieux poisons. Il enveloppa dans une même réprobation tous les « naturistes », de Rabelais à Zola, tous les romantiques, esclaves du monde extérieur et de leurs passions, tous les « impressionnistes » déréglés qui osaient substituer lu fantaisie individuelle aux arrêts de la raison abstraite et générale. — « Nos impressions ne doivent entrer pour rien dans la règle de nos jugemens, » répétait-il avec force ; et il avait la candeur de croire que les siens n’étaient jamais déterminés par « une impression personnelle. Dans la maturité de l’âge et de la raison, nous le vîmes revenir sur quelques-uns de ses ostracismes, parler de Rabelais avec une intelligente impartialité, rendre justice à Molière, recevoir le coup de la grâce balzacienne et rédiger pour l’Amérique ce petit chef-d’œuvre, son Honoré de Balzac.

Engagé dans l’histoire littéraire avec sa vaste ambition d’y comprendre et d’y rattacher toutes les idées, notre cartésien devait chercher une méthode, un système, comme l’on dit aujourd’hui, qui lui permît d’enfermer le monde de l’esprit dans une belle ordonnance architecturale. Il crut l’avoir trouvé dans le darwinisme ; et il lui plaisait de « réintégrer » une idée très moderne dans les méthodes philosophiques de l’âge classique. Brunetière conçut alors le dessein d’appliquer la doctrine évolutive aux phénomènes intellectuels. De là l’Evolution des genres, et le plan d’une première histoire de la littérature, qui