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voyage en Amérique, où il avait laissé ses dernières illusions et même une partie de sa fortune, il s’était encore, une fois arrêté à Stuttgart, où l’attachaient désormais de vives admirations et de chaudes amitiés. Enfin, toujours poussé par le même démon, il revenait à Vienne, son autre patrie littéraire, précédé cette fois d’une réputation qui s’étendait peu à peu à toutes les régions de l’Allemagne.

Lenau avait trente et un ans. Il venait de publier son premier volume de poésies chez Cotta. Il s’occupait de la composition de Faust ; il entrait dans sa période de maturité féconde. Frankl, un des hommes qui l’ont le mieux connu, trace de lui le portrait suivant : « Lenau était petit et trapu ; il avait la démarche lente, presque paresseuse, et la tête penchée en avant, comme s’il eût cherché quelque chose par terre. Tous ses traits avaient un air de noblesse. Le front était pâle, large et haut, encadré de cheveux bruns, peu abondans, collés aux tempes. Dans les momens d’émotion, on pouvait voir une veine irritée courir de haut en bas sur ce front… Ses grands yeux bruns, sous l’empire de la passion, brillaient d’un feu sombre, puis, soudain apaisés, s’arrêtaient mollement sur celui avec lequel il s’entretenait de questions sérieuses concernant l’art et la vie. La bouche, largement fendue, plutôt sensuelle que noble, était ombragée d’une moustache ; il fallait que le menton fût toujours « lisse comme du velours. » Le nez, qui tombait droit sur la bouche, était d’un beau dessin. Le vêtement était toujours simple et correct. Lenau n’éprouvait pas le besoin de parler, comme c’est souvent le cas chez les gens d’esprit capables de donner à leurs idées un tour artistique. Mais lorsqu’il était entraîné par un sujet qui le passionnait, il pouvait parler longuement, non sans énoncer de grandes pensées. La voix était alors lente et claire, les images frappantes, le tour original et incisif. Il aimait à faire des poses, quand il développait une idée, et des bouffées de fumée s’échappaient de ses lèvres, avant qu’il reprît son discours. Alors il accompagnait ses paroles d’un singulier mouvement des sourcils, qui se relevaient et se contractaient, et il roulait des yeux, comme s’il voulait, par cette mimique, souligner l’importance de ce qu’il disait… Il parlait un pur allemand, sans accent hongrois ni dialecte autrichien[1]. »

  1. Zur Biographie Nikolaus Lenau’s, Vienne, 1885, p. 8.