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structure sociale qu’à Ambohimanga, — le Versailles de la race hova, — les maisons étaient échelonnées d’après le rang social des habitans. On comptait trois classes : celle des princes, celle des nobles et celle des esclaves, enfermée chacune dans des bornes infranchissables. Dans l’armée, dans le fonctionnarisme les Hovas ont institué les honneurs qui établissent des gradins : ces honneurs s’étageaient jusqu’au nombre treize. Les titres comportèrent toujours une idée de hauteur par rapport au ciel : ce sont « les fils d’en haut, » « les fils de haut rang, » « ceux qui sont sous le ciel. » Le roi tenait le suprême échelon : « Tout le royaume est une échelle, dit une poésie hova, qui ne fait pas broncher et qui ne fatigue pas celui qui la monte. »

Ce penchant à aimer ce qui se dispose, s’édifie et se classe par étages, on le retrouve encore dans l’habitude malgache de citer et d’évoquer toujours les ancêtres : ils se conçoivent pour ainsi dire en amphithéâtre dans le temps. Au-dessus de lui, le Hova place l’aïeul et il sait le nom de celui qui a précédé l’aïeul : marche à marche, il remonte l’escalier généalogique. Voyez quelle architecture de souvenir représente le discours d’éloge que le peuple devait prononcer à voix basse quand la Reine traversait la ville : « C’était d’abord l’énumération des ancêtres de la Reine, qui est la représentante de Radama Ier, d’Impoïna, de Ralambo et de toute la race des anciens rois ; on invoque sous le nom d’Andriamanitra « le prince odoriférant et créateur » pour qu’il bénisse la Reine ; on implore avec lui les douze souverains, les douze villes sacrées de l’Imerina, le soleil, la lune et les étoiles et les idoles désignées chacune par son nom. » C’est encore ce goût, cette mégalomanie d’amphithéâtre qu’on retrouve dans son amour des nombreuses familles qui, couche par couche, élèvent le monument de la race, dans son désir de la fortune qui se constitue par la superposition des économies quotidiennes comme la grande ville Tananarive s’est constituée par la superposition d’humbles cases, et enfin dans cette religion superstitieuse du « Progrès » où il voit un continuel travail de structures venant s’élever sur ce qu’ont bâti les ancêtres, une architecture du temps.


MARIUS-ARY LEBLOND.