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citadins aimaient à s’asseoir pour regarder au-dessous d’eux. L’ambaniandre[1] a, pour ainsi dire, l’âme d’un habitant de jardins suspendus : il éprouve une très douce satisfaction intellectuelle à se sentir au-dessus du niveau de la plaine, à voir les mouvemens des gens ou les jeux de la lumière se déplacer sur la terre. Porté dans le filanzane, il domine encore le sol qu’il ne touche pas des pieds, ce sol de l’île où il monta aux cirques les plus élevés.

Quand les Hovas se réunissent, il est curieux de les regarder se ranger d’instinct en amphithéâtre. Qu’il s’agisse d’un bœuf qu’on va immoler sur une pelouse, ils ne se disposeront pas en cercle autour du spectacle, mais ils vont asseoir leurs lambas clairs l’un au-dessous de l’autre, au caprice pittoresque d’un versant de colline, parmi des roches et des arbustes, et s’immobilisent dans cet ordre où on les sent goûter le plaisir de se voir étages en rangs de cirque. De même, quand on va changer de tombeau les restes des ancêtres, les amis conviés par la famille recherchent la pente d’un coteau pour assister de haut aux danses de l’adieu. A Tananarive, qu’un rassemblement se produise en pleine rue, on note qu’immédiatement les enfans vont former un premier gradin, les adolescens et les femmes un second, et les grands vieillards un troisième. Lorsque le dimanche, les ramatoas vont entendre la musique à la place d’Andohalo ; on perçoit le bien-être, quasi artiste, qu’elles ressentent à s’asseoir l’une au-dessus de l’autre et à écouter, en ramenant d’une main sur le visage orangé un voile bleu pâle ou vert tendre, les harmonies d’orchestre qui montent en superpositions aériennes. L’imagination, pour ainsi dire, amphithéâtrale des Hovas a conçu le tombeau à l’image de la maison, de la rizière, de la ville : il est formé par trois terrasses surajoutées au-dessus desquelles se dresse une large dalle. Là, dorment les générations l’une au-dessous de l’autre, tandis que leurs ombres séjournent dans l’une des trois zones circulaires qui s’étagent autour d’une montagne sacrée de la forêt du Sud.

À cette vision architecturale des choses correspond une mentalité foncièrement éprise de hiérarchie : comme la ville hova est un escalier de maisons, la société est une échelle de classes, et il existe un rapport si étroit entre la structure de la ville et la

  1. Nom noble du Hova ; littéralement celui qui est sous le ciel.