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aux pieds comme une proie facile aux conquêtes et aux grands travaux. Quand, s’attachant à examiner le pays, on se penche pour mesurer l’abîme au centre duquel s’exhausse Tananarive, c’est la descente rocailleuse d’une terre usée par le soleil que retiennent en s’y accrochant des amontanas trapus et des aviavys à feuillage épais et endurci par la brise : ces arbres sacrés, admirables par leur ténacité et la rugosité de corail qu’ils prennent à être continûment baignés dans les vagues de ces vents siliceux, contiennent le Rova, barricade de végétation nationale à la colline royale. On est là perché comme dans une aire de feuillages religieux. C’est à travers leurs branches qu’il faut regarder les plaines historiques de l’Ikopa et de Miandrarivo.

A l*Est, du côté de Mazoarive, se convulse un panorama rouge de terres hérissées et déchirées qui semblent saigner, plus vif chaque fois que le soleil sortant d’une nuée d’orage s’abat sur le sol, y donnant de vrais coups de griffe de feu. Par-delà des villages arrondis comme de grands plats de terre cuite dans leurs enceintes ocreuses, monte une colline écarlate où les sentiers s’incrustent en grenat, où les talus des terrasses, les murs d’enclos, les saillies des maisons s’accusent dans un relief pourpre. Seuls des bananiers effilochés, de maigres rizières avec un dessin rapiécé de tapis-mendiant, des vergers de lourds manguiers disséminent des taches de végétation olivâtre. Le lac d’Ambohipo, d’un bleu de granit, s’encastre comme une pierre de tombeau entre ces tumulus d’argile. Les étangs de Mazoarive, couleur d’asphalte, s’égrènent comme un chapelet de menues mers-mortes. A côté, d’autres montagnes sont taillées à la hache, crevassées de grandes balafres où semble s’être caillé ce sang de la terre ardente, ou bien ravinées de nuances dorées ou cuivrées suivant l’œuvre d’érosion. Et par-delà des carrières éventrées, se soulèvent comme d’immenses ruines mexicaines des blocs massifs de brique, de grandes falaises orangées à pic, avec des zébrures dans les remparts comme un travail sauvage et brutal d’attaque et de brèches.

De l’autre côté, à l’Ouest, c’est le vaste camp pacifique des rizières qui s’étend jusqu’à un horizon très reculé de montagnes aux lignes de tentes par-dessous des nuages enroulés. On l’admire en général quand le riz a levé et qu’il roule à la brise ses nappes vertes, mais il est plus beau encore quand, en août, après le rude labour, se dessine militairement le réseau des rizières