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presque illimitée, il ne veut pas s’astreindre à n’en habiter qu’un recoin ; en outre, épris d’indépendance, il trouve toujours une malice à égarer sa trace : il est le nomade de la forêt. Ce coureur des bois abandonne aussi aisément son village de feuilles que le coua le nid de la dernière couvée, traverse les rivières, non sans y avoir jeté un caillou pour chasser le sort de son eau « claire et bleue, » passe des nuits à la belle étoile, non sans nouer en touffe à son réveil les herbes où il a dormi pour remercier Zanaahary (Dieu) d’avoir protégé son sommeil, rôde et va élever ailleurs sa hutte nouvelle. À ces tresseurs de feuilles et de lianes plus vifs que l’oiseau, deux jours suffisent pour bâtir tout un village. On connaît encore peu l’âme tanala car elle est prudente et timorée, mais si l’on peut préjuger de l’esprit d’une peuplade aux cases qu’elle construit, il faut reconnaître à celle-là qui vit sous les ombres lisérées des bocages, parmi les orchidées légères, le sentiment du gracile. On admire leurs cases avec un inlassable plaisir de finesse, et, quand on vient de constater à quel point elles ressemblent à de jolies cages, on remarque qu’un merle moqueur, dans une corbeille tricotée, se balance et chante à la corne du toit. Le Tanala est musicien : une flûte de bambou qui résonne comme l’eau entre deux roches de ravine module son plaisir mélancolique dans le silence caressé de fumées bleues. Et, quand on s’enfonce dans ces forêts où d’invisibles cascades s’engloutissent en bourdonnant dans des gouffres de frondaisons, il n’est pas rare d’entendre au-dessus de soi, dans le ciel, le son des trompes en bois avec lesquelles les Tanalas se signalent de village en village et de cime en cime. Ce n’est point une âme guerrière qui souffle, car, ayant au plus haut point le respect des personnes et de la liberté individuelle, le Tanala est pacifique ; mais il est farouchement épris de justice, et, homme des maquis du Sud, ne sait point pardonner l’offense.

On se plaint que le Tanala, ne demandant rien à la civilisation, fuie obstinément notre contact et ne sorte pas de sa forêt. Cela n’est point absolument vrai, si l’on songe au nombre de villages qui suivent gracieusement les méandres de la route commerciale de Fianar à Mananzary. Les bourjanes hovas et betsileos qui remontent du littoral, équilibrant sur leurs torses ruisselansun bambou qui supporte à ses extrémités de lourds sacs de sel, s’y arrêtent pour manger une écuelle de riz et laver leurs lambas à la ravine. Et ceux qui viennent d’Alakamisy et