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rivières chevelues, ce qui souligne partout de larges lisérés d’un vert métallique le dessin du paysage d’or rouge. C’est somptueux, et bientôt monotone. Le premier plan est exclusivement composé de ces lignes arrondies, formant à la longue par l’obsession des mêmes harmonies un paysage lourd et balancé qui ressemble à la perspective d’un innombrable troupeau de bœufs malgaches, zébus fauves à grosses bosses roulantes.

Les deux plantes qui caractérisent la région médiane sont le ravenala ou arbre-du-voyageur et le bambou, l’un plus près de la côte et se glissant jusque dans les pangalanes, l’autre plus près de la forêt dont même il occupe seul la lisière sur une bande de quelques kilomètres.

Au-dessus d’un tronc semblable à celui du bananier, le ravenala hérisse une roue de longues palmes que le vent déchiqueté : d’un vert argenté et presque d’airain dont l’éclat est faux, agité perpétuellement d’un mouvement imperceptible où sa surface, brisetée, ondule en cliquetant, il a d’abord un port belliqueux avec tout son carquois de feuilles barbelées. Mais, quand on s’est familiarisé, il vous surprend aussi par une grâce svelte et cocasse d’oiseau tropical, dans le frémissement sauvage de ses longues feuilles pareilles à des pennes. Vraiment, ce n’est pas un arbre, c’est un ailé. Souvent il est solitaire au-dessus de l’herbe rase et grisâtre où ne s’entend nul bruit de passereau ni d’insecte dans cette terre sans chant et sans parfum ; parfois, au-dessus d’un buisson, il se perche haut, la queue déployée, majestueux et mélancolique… Les bambous qui, au contraire, se massent par touffes, bosquets et fourrés, sont des graminées-fougères qui, très hautes et longues, sous leur poids chevelu se penchent, recourbés en crosses déliées, inclinés souvent jusqu’à terre d’un port balayeur et pleureur, mais sans l’abandon plaintif des saules de Babylone. Tous les matins ils sont ployés sous le poids d’une rosée pesante comme la pluie, et même au fort du jour, ils sont un souvenir de la pluie, la plante-type d’un pays qui pleure constamment sous les averses. Sur la terre flotte une odeur amère de safrans mouillés.

Les crépuscules sont étrangement assoupissans sur ces steppes montagneuses du monde austral. Assis devant la case, dans les villages très rares, on regarde, enivré de monotonie, les mamelonnemens d’herbe beige pommelés de verdure que le soir assombrit.. C’est doux, calmant, d’une mélancolie de mélopée,