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mariée et des lianes-de-mai, ou des corymbes marrons et rosâtres. Parfois un bœuf couleur de galet, noir tacheté de blanc, qui paissait une herbe salée, peureux des hommes comme un caïman, se jette de côté et disparaît dans des fouillis d’épines.


Le long de ce littoral, le voisinage de l’Océan entretient l’esprit dans le rêve des premiers débarquemens de peuples.

Kmers nigritisés, Indo-Mélanésiens ou Nègres asiatiques au crâne fort, à la figure plate et ronde, au nez écrasé à la naissance, aux lèvres épaisses, « aux cheveux en tête de vadrouille, » c’est sur cette côte Est que les hardis navigateurs, projetés par les vents alizés des îles de la Sonde à travers l’océan Indien, atterrirent à des époques confuses[1]. Les praos (ou jonques indoocéaniennes) furent traînées sur cette plage profonde, et les hommes, les oreilles encore sifflantes du bourdonnement inlassable des moussons, durent demeurer dans un long étourdissement devant la platitude et la torpeur de cette terre, devant les lagunes étales au ras des collines fumeuses, illimitées et si vides qu’ayant enlevé leurs balanciers, ils les remontèrent aussitôt en glissant dans ces embarcations que l’Océan avait ballottées aux crêtes des vagues. Comme ces émigrés arrivaient avec le cœur encore effarouché par des guerres nationales et que toutes les légendes ancestrales avaient dû flamber en visions plus vives dans leurs sombres imaginations d’exilés durant les nuits sur la mer, ils devaient épier des présences cruelles dans le silence de ce littoral où le dessin tournant des allées naturelles, le groupement circulaire des arbres, donnent une appréhension d’humanité cachée. L’île était alors[2] habitée de tribus disséminées, vestiges d’une très vieille race papoue analogue aux plus anciens autochtones de l’Australie et du Sud-Afrique, indigènes à gros ventres et à jambes courtes fuyant par les huiliers, dont les

  1. L’obscurité qui enveloppe l’histoire de cette époque vient de l’absence de langue écrite, de monumens originaux et même de traditions orales, car il n’en existe que pour des faits des époques rapprochées. Mais il y a des travaux ethnographiques très intéressans sur l’origine des races. Antananarivo Annual : articles de Sibree, Dahle, Jorgensen, etc. ; A. Grandidier, Mém. du Centenaire de la Société philomathique (1888) et Ethnographie de Madagascar (les Origines des Malgaches) (1901) ; Jully, Notes d’histoire (Notes, reconnaissances et explorations du 30 avril 1898) ; Berthier, Rapport ethnographique (1898) ; Gautier, Madagascar (1902).
  2. D’après Flaccourt, Froberville, Lacombe, Girard de Rialle, Dahle, Jorgensen. Entre toutes, l’excellente étude, érudite et ingénieuse, de M. Max Leclerc sur Les Peuplades de Madagascar fait encore autorité, bien que datant de 1888.