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phénomène de vie tropicale, même de vie géologique, a donc retranché, émoussé les crêtes, comblé les vieux fonds lacustres, aplani le pays au point qu’on a pu le définir un vieux pays usé en voie l’effacement. Cependant le relief demeure accentué. Frappante antinomie : elle reste le fait, extrêmement particulier, d’un petit continent qui a mené, si l’on peut dire, une existence très intense et violente, se trouvant être une île allongée et soumise ainsi plus fortement à l’action des courans marins et des vents, dans un Océan barré à l’équateur et par suite réduit à bouillonner sur place en des cyclones uniques au monde.

Cette étrangeté de la physionomie géologique a eu ses correspondances dans la vie organique qui s’est développée sur cette terre. « La nature, — a dit, dès le XVIIIe siècle, le grand naturaliste Commerson, s’y est retirée comme dans un sanctuaire particulier pour y travailler sur d’autres modèles que ceux dont elle s’est servie ailleurs. » Et les naturalistes du XIXe siècle qui ont étudié, avec passion, sa faune et sa flore, ont manifesté le même étonnement. Les oiseaux, remarque Wallace, appartiennent pour une bonne moitié à « des genres particuliers dont beaucoup sont extrêmement isolés. » Les rongeurs, tels les tendrecs, se rattachent à des variétés si singulières qu’on a dû créer pour eux des familles spéciales : ainsi les centètes. Quand Milne Edwards a voulu qualifier les lémuriens, il a dû constamment avoir recours à des juxtapositions de termes dont la contradiction le frappait : ainsi le célèbre aye-aye, cet insectivore au doigt démesuré qui extirpe les vers des troncs avec sa griffe, se dénonce-t-il un chat plantigrade, « ce qui est une antithèse ; » parmi les maques, les indris, qui n’ont pas de queue et redressent une, allure presque humaine, se définissent absolument des pachydermes grimpeurs, ce qui n’est pas moins antithétique.

Pour expliquer la présence d’animaux aussi exceptionnels sur ce seul point du globe, on a dû émettre l’hypothèse d’un grand continent ou d’un gigantesque archipel austral auquel on a donné le nom de Lémurie. Là fourmilla une faune particulière, au bord de grands lacs, dont ceux d’aujourd’hui, l’Alaotra et l’Itasy, ne sont plus que des résidus, et sur les rives desquels croissaient ensemble des crocodiles géans et des tortues dont les carapaces mesuraient près de deux mètres, des hippopotames trapus et de hauts épiornis, oiseaux aquatiques dont les œufs avaient la capacité de huit litres et demi. La vie animale y