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Les chirurgiens en renom étaient considérés et bien payés : celui de Charles le Sage (1380) jouissait d’un traitement annuel de 22 000 francs, supérieur à celui de tous les médecins jusqu’au XVIe siècle. Pour se faire arracher une dent par l’un d’eux, — ils étaient dentistes aussi, — il en coûte à de riches princesses des sommes qui varient de 175 à 230 francs. Dès cette époque d’ailleurs, le barbier royal avait dans ses attributions la saignée et, de sa main, elle valait depuis 35 jusqu’à 80 francs (1327), tandis qu’une saignée à l’hospice de Marseille ne se payait que 2 francs (1398) et qu’à Chartres, pour 12 francs, un chirurgien remettait une épaule démise (1401). Los saigneurs-barbiers, distincts des chirurgiens, ne l’étaient pas moins des barbiers-étuvistes, ou baigneurs, dont les boutiques servaient de réunion aux oisifs du quartier.

Il ne faut pas nous laisser égarer par l’étiquette : les mêmes emplois changent de noms, les mêmes noms changent de sens dans la suite des âges. Et par exemple, les qualités de jongleur, notaire, valet, abbé, officier, maçon, épicier, bonnetier, mercier, facteur, ont servi suivant les époques à désigner des individus et des professions totalement différens. Qu’un même mot, une appellation unique, puisse arriver peu à peu, sans perdre son acception originelle, à s’appliquer à des personnages et à des états divers, je n’en citerai pour preuve que celui de « peintre ; » ou encore celui de « Sire » qui, suivi du nom de l’interpellé, — Sire un tel, — n’était usité au XVIIIe siècle que vis-à-vis d’individus très inférieurs et qui, employé seul, ne convenait qu’au Roi.

Est-ce la chirurgie, délaissée par les médecins laïcisés du XVe siècle, qui perdit son ancien rang ? Sont-ce au contraire les besoins croissans de cet art et le manque de bras savans qui poussèrent les barbiers à lancette à entreprendre les opérations peu compliquées du temps de Louis XI ? Et, une fois qu’ils se furent approprié ce domaine, est-ce le mépris où les hommes de robe longue, — les « intellectuels » du passé, — méprisés eux-mêmes par les gens de guerre, tenaient les gens de métier manuel, qui fit rejeter la chirurgie et ses nouveaux « maîtres, » comme abjects, en dehors et bien au-dessous de la médecine ? Il est impossible de déterminer exactement la part de ces causes diverses, dans l’hostilité historique des deux branches, naturellement associées, d’une même science.

Mais ce qui est certain, c’est que leur inégalité était plutôt