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De sorte que nous constatons ce triple phénomène : accroissement du nombre des médecins, par rapport à l’ensemble de la population ; augmentation de leurs honoraires et surtout de leurs gains annuels, que l’on peut évaluer pour la masse de la corporation au triple de ce qu’ils étaient jadis ; diminution du prix des remèdes.

Par suite du développement de l’aisance, un plus grand nombre de malades peuvent dépenser pour se faire soigner ; mais le bon marché des médicamens compense le renchérissement des ordonnances et, pour les classes moyenne et populaire, il n’en coûte peut-être pas plus cher d’être malade aujourd’hui qu’il y a deux ou trois cents ans. Quant aux célébrités médicales qui gagnent huit ou dix fois plus que leurs devanciers de l’ancien régime, leur fortune nouvelle est faite de celle des récens parvenus de l’argent, assez nombreux pour se disputer les services des maîtres de l’art et assez riches pour en faire ainsi hausser le taux.


V

Les grands chirurgiens sont un exemple plus saisissant encore de cette surenchère inconsciente de la clientèle, puisqu’ils sont actuellement une dizaine, en France, qui gagnent chacun 600 000 francs par an. L’habileté de l’opérateur l’emporte en valeur vénale sur le diagnostic du docteur consultant ; soit parce qu’elle est plus rare, soit simplement parce que la dextérité de main du premier lui demeure personnelle, tandis que les découvertes scientifiques du second, aussitôt vulgarisées, sont mises à profit par tous.

Au-dessous de cette pléiade de noms en vedette, les honoraires oscillent entre 50 000 et 100 000 francs pour tous les chirurgiens des hôpitaux de Paris. En province, quelques chirurgiens régionaux, qui rayonnent à une centaine de kilomètres de leur domicile, atteignent aussi 100 000 francs par an. Les spécialistes des grandes villes, plus obscurs, ne dépassent pas 20 000 francs. Ils sont d’ailleurs en petit nombre ; les docteurs ordinaires cumulant aujourd’hui l’exercice de la médecine avec celui de la chirurgie, dont les progrès ont augmenté leur revenu.

« Monsieur Purgon » en serait mort de honte, lui qui croyait avoir rejeté in infimis ces « estafiers de Saint-Côme, laquais bottés, chiens grondans, superbe racaille, » ainsi que les