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contre les hémorragies ; elle coûte aujourd’hui de 6 à 8 francs.

Ces arcanes officinales, aux noms barbares et prétentieux, recouvraient souvent des matières premières assez simples ; sur la note d’un apothicaire de Sens (1674) figure cette nomenclature déconcertante : douze prises de cloportes, deux scrupules d’yeux d’écrevisses, une fiole d’eau de tête de cerf, une once d’huile de vers et autant de poudre de vipère. La poudre de vipère et l’huile de vers sont maintenant inusitées ou inconnues. Mais l’eau de tête de cerf, phosphate tribasique de chaux, est remplacée par une décoction de Sydenham faite sur le produit chimique pur ; aux cloportes a été substitué leur principe actif, le nitrate de potasse ; et le carbonate de chaux a pris la place des yeux d’écrevisses.

La « poudre de sympathie, » fort en vogue pendant la guerre de Trente ans, qui guérit les blessures du maréchal de Gassion et d’Arnauld de Corbeville, n’était qu’un mélange de sulfate de fer et de gomme arabique ; et les « gouttes d’Angleterre » que l’on fit prendre au maréchal de Lorge (1695) et où devaient entrer, d’après le dictionnaire de Trévoux, de la poudre de crâne de pendu et de la vipère sèche, n’étaient qu’une honnête dilution à base d’opium.

Nous possédons, autant et plus que nos pères, nombre d’orviétans spécifiques et de remèdes secrets, qui doivent leur succès à d’artificieuses réclames et leur vertu aux mixtures les moins compliquées. Nos modernes « liqueurs de Cagliostro » se vendent aujourd’hui sous mille étiquettes. Mais les progrès de l’industrie chimique, la révolution du commerce et des transports, ont prodigieusement abaissé le coût de la pharmacie. Le kilo de camphre, que l’on payait 106 francs sous la Régence du duc d’Orléans et 40 francs au milieu du règne de Louis XV, se paye actuellement 8 fr. 50, malgré le trust de l’île Formose ; le kilo de rhubarbe, qui valait 285 francs en 1566 et 100 à 200 francs sous Louis XIV, se vend aujourd’hui 42 francs[1]. Et si l’on passait en revue les médicamens usuels, on observerait, je crois, la même réduction énorme des prix de la pharmacie, du temps passé jusqu’à nos jours.

  1. J’ai noté, dans les comptes des hospices, les prix de 94 francs à Tournus (Bourgogne) en 1677 ; de 110 francs à Bordeaux en 1691 ; de 210 francs à Soissons en 1730. Il se trouvait aussi de la rhubarbe à 52 francs à Bordeaux en 1668 ; à 26 francs à Alais (Gard) en 1770 ; à 22 et 33 francs à Paris et Soissons en 1785 ; mais celle-ci n’était pas le produit officinal, venant exclusivement de Chine.