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dehors les mauvaises humeurs de monsieur ; » ou d’une « potion cordiale et préservatrice, composée avec douze grains de bézoard, sirop de limon, grenades et autres, suivant l’ordonnance. Argan les règle l’un et l’autre à 5 et 13 francs. Pour un « bon clystère détersif, composé avec catholicon double, rhubarbe, miel rosat et autres, pour balayer, laver et nettoyer le bas-ventre de monsieur, » M. Fleurant demande 5 francs ; Argan le réduit à 1 fr. 65.

Il n’est guère généreux. Il n’eût su trouver de lavement à si bas prix. Le meilleur marché que j’aie rencontré dans les « mémoires » du temps est de 2 fr. 45, somme payée par l’hospice de Tournus (Bourgogne) pour un « clystère laxatif, carminatif et hystérique (1664). » Encore est-ce un clystère de province. A Paris, l’année même de la représentation du Malade imaginaire (1673), l’Hôtel-Dieu paie 4 francs pour un lavement.

Deux cents ans plus tôt ces chiffres eussent paru modestes, et le héros de Molière eût été bien empêché, pour les 200 francs par mois qu’il octroie à son fournisseur, d’avoir pareil nombre de lavemens et de médecines, s’il eût vécu par exemple sous Louis XI ou sous Charles V. Le clystère coûtait de 18 francs à 7 fr. 50 au XVe siècle, — en moyenne 12 francs, — et plus cher encore au XIVe siècle : de 21 francs à 17 fr. 50, suivant qu’il était « administré » par son auteur ou « fourni seulement » au destinataire.

Il est ici question d’entrailles sans prétentions et de la classe moyenne : marchands et bourgeois de bonne ville, artistes ou magistrats. Albert Durer, quoiqu’il ne fût guère fortuné, paie à Anvers (1521) « pour un clystère destiné à sa femme qui est malade » 24 francs, — le même prix exactement qu’il vendait ses dessins ou ses portraits au fusain. — Les hauts barons, les princesses magnifiques qui ne se refusaient rien, absorbaient au XIVe siècle des « clystères dorés » de 40 et 50 francs chaque ; compositions mystérieuses, dont le mérite reposait sans doute sur la croyance aux vertus curatives de l’or potable.

L’alchimiste de Louis XI avait fondu des écus pour la somme énorme de 4 600 francs, afin d’en composer un breuvage d’aurum potabile destiné à ce prince. La foi aux élixirs et teintures d’or ne fit qu’augmenter avec Paracelse au XVIe siècle : Diane de Poitiers y puisait, au dire de Brantôme, la conservation de sa beauté ; l’Empereur Rodolphe, d’après Tallemant, s’en servait